Une autobiographie en toute humilité
Il est un fait avéré que le manga, dans sa forme, est désormais bien ancré au sein de notre approche d’une culture de plus en plus métissée. S’il faut évidemment souligner, bien entendu, que certaines tendances restent évidemment exclusive au pays d’origine de cette bande dessinée, on peut tout de même se féliciter de voir arriver, aujourd’hui, une œuvre comme Le cycle d’Inori T1 : l’âme et la matière, ouvrage clairement marqué par le pluralisme qui habite son auteur, Winston.
Le cycle d’Inori T1 : l’âme et la matière est une autobiographie, mais pas du genre à tirer son intérêt du nom qui s’étale sur la couverture. Dès lors, on peut déjà s’attendre à un récit assez étonnant pour être qualitatif sur des éléments purement narratifs. Et c’est effectivement le cas : on suit le chemin de vie de Winston Wilsteiner, illustrateur dont la carrière semble se dessiner entre Paris et le Japon. Avant toute chose, il faut savoir que ce sujet fait de chair et de sang est tout aussi dessinateur que directeur artistique, mais aussi responsable de certains décors sur quelques animés japonais bien connus (Lupin III et Detective Conan, tout de même). Et cet homme, Winston donc, on le rejoint ici alors qu’il prépare sa première exposition de dessins. Et c’est là que « crac », le genou décide non pas de lâcher totalement, mais de faire un mal de chien. Ligaments croisés, ou une rupture du ménisque, pense-t-on de suite, un peu marqué par la culture foot. Pourtant non, et même si le corps médical part à peu près de notre jugement (comme quoi, le foot…), l’IRM ne dévoile rien…
Le cycle d’Inari T1 : l’âme et la matière débute sur cet étrange mal, mais cette bande dessinée autobiographique n’est pas, fondamentalement, une histoire sur la douleur lancinante. Alors que cette bien étrange maladie diminue Winston, le récit nous décrit avec une belle subtilité un projet de vie qui, sans être catastrophique, loin de là, est tout de même marqué par le doute. L’auteur, et donc sa projection sur papier, cumule beaucoup de pression pour deux humbles épaules… et genoux. Son exposition d’une part, mais aussi un retour vers le Japon, pays au sein duquel l’attend Natsuki, avec laquelle il envisage de se marier. Seulement, les quelques mois passés à distance n’ont-ils pas entamés la passion d’une belle relation ? La réponse est malheureusement évidente, les liaisons qu’ a pu entretenir Winston avec des parisiennes, notamment Elsa (qui, elle-même, est en couple avec un homme qui habite en Grèce, comme quoi les relations à distance…), finissent par ailleurs de donner l’impression que le jeune homme n’est pas dans des dispositions optimales pour combattre au mieux le mal qui ronge ses jambes.
Visuellement de haut niveau
Mais Winston part tout de même au Japon, et y vivra une profonde remise en question. Le cycle d’Inari T1 : l’âme et la matière est un premier tome au rythme délicieusement apaisé, qui ne cherche pas à forcer les sentiments, ni à véritablement privilégier un thème. Une autobiographie certes, mais aux sujets facilement abordables. Heureusement, la crainte que l’on peut avoir de se frotter à une sorte d’égo-trip ne survit pas aux premières pages de l’ouvrage. On est particulièrement intéressé par le parallèle effectué, finement, entre le corps et l’esprit, l’âme et la matière pour reprendre un sous-titre très judicieusement choisi. Car il est impossible, pour les lecteurs, de ne pas se demander comment une seule personne peut engranger autant de pression. Et ce même si l’auteur fait preuve d’une pudeur de tous les instants, ne se met jamais en avant, ne recherche pas une seule seconde le pathos. Au contraire même, Winston Wilsteiner n’hésite jamais à bien décrire ses moments de turpitude, sans aucune volonté de les justifier.
Cela saute aux yeux tout au long de Le cycle d’Inari T1 : l’âme et la matière : l’auteur aborde cet exercice avec la simple envie d’exprimer son ressenti profond, et pas pour se mettre en avant. Cela accouche notamment d’instants assez durs émotionnellement, émotionnellement chargés. Nous ne spoilerons rien, sachez juste que Winston Wilsteiner réussit à trouver la matière pour parler directement à nos tripes, mais pas les plus virulentes : les plus douces, celles qui aiment à souffrir en silence. Un peu comme les genoux de l’auteur d’ailleurs, qui soutiennent une âme un peu en peine, et que l’on est impatient de découvrir encore mieux lors d’un deuxième tome qui s’annonce peut-être un peu plus mystique. Signalons aussi une qualité de dessin qui nous a séduit tout du long, très typé manga. On aime la direction artistique, les couleurs qui contribuent parfaitement à cette ambiance intimiste, la grammaire visuelle qui provoque un mouvement perceptible : c’est du haut niveau (et soulignons l’excellente couverture, aussi). Sorti d’un peu nulle part pour nous, Le cycle d’Inari T1 : l’âme et la matière s’avère être l’une de nos belle découvertes de cet automne 2016.
Le cycle d’Inari T1 : l’âme et la matière, une bande dessinée scénarisée et illustrée par Winston. Aux éditions Delcourt, 156 pages, 15.95 euros. sortie le 12 octobre 2016.