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[Critique] Contes des Particuliers — Ransom Riggs

image couverture contes des enfants particuliers ransom riggs bayard jeunesseDes histoires venant enrichir l’univers de la série

La trilogie de romans jeunesse Miss Pérégrine et les enfants particuliers a connu un succès considérable depuis sa première publication aux États-Unis en 2011, poussant certains à comparer l’oeuvre de Ransom Riggs à celle de J.K. Rowling pour la popularité respective de leurs livres, et certains thèmes communs — l’intolérance, par exemple — qui viennent nimber ces univers merveilleux d’une aura plus sombre.

Aussi ne sera-t-on pas étonnés de la sortie de ce joli petit livre aux éditions Bayard Jeunesse, dont la maquette, les gravures originales et les dorures évoquent les vieux livres de contes. A l’instar des Contes de Beedle le barde de J.K. Rowling, Contes des Particuliers de Ransom Riggs est inspiré de l’univers des livres et se présente comme un recueil d’histoires issues de la tradition orale, collectées et retranscrites par Millard Nullings, le garçon invisible des romans de la série, qui est souvent présenté comme une véritable encyclopédie en la matière. Le lecteur découvrira ainsi 10 contes différents, dont le ton « particulier » puise aussi bien dans les histoires des frères Grimm avant qu’elles soient modifiées et aseptisées par la culture populaire, que du côté de la littérature gothique du XIXe siècle, dont l’influence est assez évidente dans les différentes romans de l’auteur américain.

Un recueil inspiré des contes d’antan, entre morale et humour noir

image illustration l'amie des fantômes contes des particuliers
Gravure d’Andrew Davidson illustrant l’histoire « L’amie des fantômes » du recueil « Contes des Particuliers ». © Bayard Jeunesse

Mêlant l’aspect moral des contes d’antan à leur aspect le plus gothique, avec une touche macabre plus ou moins présente en fonction des histoires, Ransom Riggs imagine des histoires intemporelles que les enfants particuliers ont pu entendre avant d’aller se coucher, leur donnant de précieuses leçons sur les dangers du monde extérieur et l’acceptation de sa « particularité ». Narrés avec une pointe d’humour, ces contes sont tous teintés d’ironie et de cruauté, en cohérence avec la tonalité de la série. On découvrira par exemple l’histoire édifiante de villageois particuliers dont les membres repoussent s’ils en sont amputés, et qui acceptent de nourrir un groupe de cannibales contre de l’argent. Devenus trop gourmands et narcissiques, les villageois, qui se livrent une féroce concurrence pour avoir la plus belle maison, s’endettent toujours plus auprès des cannibales, donnant une interprétation très littérale de l’expression « ça m’a coûté un bras ». Cette mise en garde contre la vanité, à la dimension métaphorique évidente, se présente ainsi comme une farce cruelle autour de la folie des crédits à la consommation encouragée par le libéralisme à outrance ; un sens qui n’échappera pas, dans les grandes lignes, aux lecteurs de 12 ans et plus auxquels ces contes sont destinés.

Le reste du recueil est à l’avenant, bien que certaines histoires possèdent une dimension émotionnelle plus forte que d’autres, reposant davantage sur un humour noir. On pensera par exemple à « La première Ombrune », qui développe une histoire déjà présente dans les romans, mais dont nous ne connaissions pas tous les détails, ou encore à « L’amie des fantômes », qui met en scène une jeune fille particulière tellement seule que ses seuls amis sont les fantômes, qu’elle est capable de voir et entendre. « La fille qui apprivoisait les cauchemars » possède quant à elle une teneur différente puisque sa morale, nous confie Millard Nullings, est au contraire que certaines particularités ne doivent être utilisées qu’avec maintes précautions, voire pas du tout dans certains cas. Cette histoire de petite fille capable d’extirper les cauchemars de l’oreille enseigne aux jeunes lecteurs que les cauchemars possèdent tous une fonction et qu’il n’est pas bon de vouloir automatiquement les supprimer, puisqu’ils ont généralement quelque chose à nous apprendre.

Des récits cohérents avec les grands thèmes de la saga

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Illustration d’Andrew Davidson pour l’histoire « Cocobolo » du recueil « Contes des particuliers ». © Bayard Jeunesse

Toutes ces histoires détournent ainsi les contes de la tradition orale rapportés par différents auteurs devenus célèbres et développent, de manière souvent malicieuse, les grands thèmes de la série littéraire de Ransom Riggs. Il est donc souvent question du regard posé sur la différence, même lorsque celle-ci peut se révéler être une force ; un regard intolérant, nourri par la peur de l’altérité, à l’origine des grandes tragédies de l’Histoire. Mais ce thème n’est évidemment pas le seul présent : nous avons plus haut évoqué la mise en garde contre la vanité de l’histoire « Les splendides cannibales », mais nous pourrions également citer « L’histoire de Cuthbert », mettant en avant le courage, l’amitié et la solidarité, ou encore les récits mettant en avant des personnages féminins forts et atypiques, qui confirment le parti pris féministe des romans de Ransom Riggs. Le tout écrit avec finesse et humour, sans grand message moralisateur réducteur et plombant : l’auteur part du principe que ses lecteurs sont intelligents et fait suffisamment confiance à son récit pour éviter de surligner les différents niveaux de lecture de chaque conte.

Enfin, les « notes de l’éditeur », où Millard apporte des précisions sur l’origine de chaque histoire, et leur évolution au fil du temps, sont bien vues et apportent une petite touche en plus que les fans des romans Miss Pérégrine et les enfants particuliers sauront apprécier. Contes des Particuliers se révèle donc un petit recueil tout à fait plaisant, à conseiller aux lecteurs déjà familiers de l’univers imaginé par Ransom Riggs, qu’il s’agisse des livres ou même du film de Tim Burton, qui prenait cependant quelques libertés avec l’oeuvre originale. Il est d’ailleurs bon de préciser que si les personnes ayant lu les trois romans seront à même de repérer ça et là quelques références aux tomes 2 et 3, il n’est pas nécessaire d’avoir lu l’intégralité de la série pour apprécier ce livre, puisque les récits présentés sont indépendants de l’histoire principale, bien qu’ils se basent sur une mythologie commune. Saluons enfin les très belles gravures d’Andrew Davidson, inspirées des vieux livres pour enfants et de l’imagerie gothique, qui nous plongent dans un univers sombre et merveilleux à la fois.

Contes des Particuliers de Ransom Riggs, Bayard Jeunesse, sortie le 27 octobre 2016, 189 pages. 14,90€. A partir de 12 ans. 

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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