Une introduction qui accroche tout de suite le lecteur
Qui ne s’est pas demandé ce qui se serait passé si les religions polythéistes avaient survécu au temps ? Il suffit de s’intéresser à ces anciens cultes, aujourd’hui remplacés par un monothéisme à grande échelle, pour que cette question pointe le bout de son nez. Aurait-on eu droit aux chasses aux sorcières, les cathédrales seraient-elles aussi incroyablement majestueuses ? Autant d’interrogations qui donnent le tournis, et qui visiblement ont donné quelques idées à un quatuor d’artistes chevronnés. Le résultat est désormais en vente : Gudesonn T1, sous-titré La nuit de Walpurgis, aux éditions Delcourt (Chronosquad T1, Dark Museum T1 : American Gothic).
Gudesonn T1 prend place dans un monde où les polythéismes anciens ont survécu. Mieux, ils se sont carrément donnés les moyens de s’organiser drastiquement. Et si la Fédération Scandinave domine le monde, d’autres organisations ont leur mot à dire : Empire Inca, Mare Nostrum, Don du Nil et d’autres encore. Comme son sous-titre l’indique, Gudesonn T1 débute en pleine nuit de Walpurgis, alors que les célébrations battent leur plein. C’est pendant ces festivités qu’intervient un drame odieux : l’assassinat méthodique des enfants de Vörstorp, bourgade située au Nord de Stockholm. Un véritable massacre, que le capitaine Martin Gudesonn et son équipe vont tenter d’élucider. Alors qu’un bambin a échappé à la tuerie, il va vite s’avérer qu’un véritable complot à grande échelle se trame…
Oh que voilà une belle entrée en matière ! Gudesonn T1 : la nuit de Walpurgis est un savoureux mélange de thriller parano « à la 70’s » et de science fiction tendance uchronie, et la recette fonctionne du tonnerre (de Zeus). Le scénario, écrit à quatre mains, va droit à l’essentiel : les personnages et le développement de l’univers. L’introduction nous présente habilement ces deux éléments, en introduisant le capitaine Martin Gudesonn lors des festivités de la nuit de Walpurgis. Ivre, et visiblement hanté par de bien lourds souvenirs, le voilà qui veut se jeter dans les flammes d’une célébration qui place le lecteur dans une curiosité latente. En effet, tout est « nouveau » ici : le personnage bien entendu, mais aussi ces festivités qui, même si elles ont survécu de manière folklorique en Suède, ont pâtit de la réputation satanique imposée par l’Église. Il faudra quelques pages afin que le trip soit digéré, et une fois ce travail effectué on est plongé dans un univers d’une certaine richesse, au potentiel éclatant.
Quand le thriller parano rencontre la science fiction
Gudesonn T1 : la nuit de Walpurgis est une uchronie qui place les religions polythéistes comme seules possibilité à travers le monde. Pas de messie, et encore moins de divinité unique. Comme toute organisation dominante, la Fédération Scandinave cherche à assoir son autorité, et même plus : préserver son Empire. Pour ce faire, et sans trop spoiler, les dirigeants de ce polythéisme inquiétant ont mis en place tout un système de prédiction, avec l’aide d’une technologie de pointe hyper ambitieuse. Toute une partie de la force de Gudesonn T1 : la nuit de Walpurgis se trouve là : son univers est à la fois cohérent et grandiose, une possibilité qu’on pourrait même qualifier d’alléchante à certains endroits. Ce n’est clairement pas l’avis de Martin Gudesonn, autre grande satisfaction de l’album, personnage un peu torturé mais surtout en opposition avec des croyances qu’il ne rejoint pas.
Les auteurs de Gudesonn T1 : la nuit de Walpurgis, Didier Convard (Finkel, Le triangle secret), Pierre Boisserie (La banque, Le concile des arbres) et Eric Adam (Neige : Fondation, Vercingétorix), font donc d’un non-croyant l’outil parfait pour faire tomber les masques. Certes, il s’agit d’une figure usitée, mais elle fonctionne à ravir et contribue amplement à l’ambiance bien paranoïaque qui règne dans cette bande dessinée. Le récit est fluide, et ce jusqu’à une fin qui, croyez-nous, va vous triturer l’esprit en attendant le second tome. Si cette histoire de complot réussit aussi bien son coup, c’est aussi parce que tout est plausible. Le monde des affaires, ses multiples connexions visant un règne sans partage, est malheureusement vraisemblable, ce qui ajoute évidemment à la force de cette BD.
Enfin, il est impossible de ne pas aborder le travail de l’illustrateur Mr. Fab (Spyder), qui contribue amplement à imprimer un sacré tempo sur ce bien joli papier. On remarque, cependant, qu’il a plus de facilité avec les visages masculins qu’avec les féminins, plus grossiers. Cela ne dérange pas du tout la lecture outre mesure, bien au contraire : les quelques femmes présentes dans l’intrigue n’en font que plus « réelles ». Au final, Gudesonn T1 : la nuit de Walpurgis a tout du lancement impeccable, à l’univers développé juste ce qu’il faut pour titiller fortement notre curiosité. À tel point que nous avons dore et déjà pris rendez-vous avec la suite.
Gudesonn T1 : la nuit de Walpurgis, une BD scénarisée par Didier Convard, Pierre Boisserie et Eric Adam, illustrée par Mr. Fab. Aux éditions Delcourt, collection Machination, 56 pages, 14.95 euros. Sortie le 15 mars 2017.