[Critique] Un Métier Sérieux : un « film de profs » sympathique mais inégal

Caractéristiques

  • Titre : Un Métier Sérieux
  • Réalisateur(s) : Thomas Lilti
  • Scénariste(s) : Thomas Lilti
  • Avec : Vincent Lacoste, François Cluzet, Adèle Exarchopoulos, Louise Bourgoin, William Lebghil, Lucie Zhang et Bouli Lanners.
  • Distributeur : Le Pacte
  • Genre : Comédie dramatique, Drame, Comédie
  • Pays : France
  • Durée : 101 minutes
  • Date de sortie : 13 septembre 2023
  • Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
  • Note du critique : 7/10

Entre réalisme et clichés

Principalement connu pour sa trilogie médicale composée d’Hippocrate (2014), Médecin de campagne (2016) et Première année (2018), Thomas Lilti quitte son domaine de prédilection pour se frotter au genre du film de rentrée par excellence : le « film de profs ». Dans ce nouveau long-métrage, un groupe de collègues soudés accueillent un nouvel enseignant remplaçant de mathématiques, Benjamin (Vincent Lacoste) dans un collège d’Île-de-France. Ce jeune prof sans expérience sera rapidement confronté aux affres du métier…

Friand d’un cinéma réaliste et social, le réalisateur propose encore une fois un film du quotidien, avec une caméra très mobile, à hauteur d’élèves, qui cherche à restituer la vie d’un professeur dans ce qu’elle a de plus banal et de plus vrai : brouhaha dans les couloirs, repas à la cantine, discussions en salle des profs et retour à la maison en RER… Tout est fait pour immerger le spectateur dans une journée ordinaire auprès de Benjamin et de ses collègues. La mise en scène est efficace mais sans fioritures, avec des scènes courtes, un rythme soutenu et une alternance fréquente de champ/contre-champ lors des dialogues. Comme souvent dans les films d’école, la temporalité est basée sur une année scolaire et les personnages utilisent presque à outrance le jargon spécifique des enseignants : « Eduscol », « Pronote », « contractuels ou titulaires »… Tout y passe.

Malgré ses efforts de documentation évidents sur le métier, Thomas Lilti oscille entre réalisme et clichés. S’il marque un point en choisissant pour décor un collège lambda, ni élitiste, ni difficile, ce qui le rend plus universel et propre à toucher le plus grand nombre, il convoque des personnages parfois outranciers, tel un Principal de collège complètement dépassé et bourré de tics, qui donne aux professeurs des responsabilités ubuesques et souvent farfelues. Le réalisateur parvient par instants à capter avec finesse les émotions propres au métier d’enseignant, comme la nostalgie de la fin d’année et des grandes salles de classes vides, mais d’autres scènes manquent totalement de vraisemblance. A trop vouloir proposer un catalogue exhaustif de la vie d’un professeur de collège, avec ses joies et ses altercations, il oublie de justifier ce qui mène à ces situations et perd en vraisemblance et en intérêt.

Un film de personnages

image vincent lacoste un métier sérieux
Copyright Les Films du Parc – Denis Manin

Dans Un métier sérieux, les personnages sont au centre du film et Thomas Lilti réunit un casting très impressionnant. En plus du jeune Benjamin, on suit Pierre (François Cluzet), professeur vieillissant peinant à retrouver de l’entrain pour son métier, Meriem (Adèle Exarchopoulos), dynamique et solaire, Sandrine (Louise Bourgouin), enseignante dépassée qui échoue à créer du lien avec ses élèves malgré sa volonté de bien faire, ou encore Fouad (William Lebghil), trublion de la salle des profs. Les différents acteurs sont investis et semblent prendre plaisir à être ensemble, telle une grande famille unie. Le réalisateur ayant déjà travaillé avec beaucoup d’entre eux dans ses précédents films, il les dirige avec confiance et laisse beaucoup de place à l’improvisation.

Les personnages sont plutôt attachants et ce groupe intergénérationnel permet de suivre à la fois les professeurs débutants et confirmés qui, malgré leur différence d’âge, rencontrent les mêmes problématiques et les gèrent comme ils le peuvent. On les suit au collège, mais également dans leur sphère privée : Meriem est divorcée et éprouve des difficultés à gérer la garde partagée, Pierre et Sandrine ne parviennent pas à communiquer avec leurs propres enfants, et tous se réunissent régulièrement chez les uns ou chez les autres à l’occasion d’une soirée.

Peut-être est-ce dû à cet éclatement narratif du film, qui s’attache à chaque personnage par intermittence, ou à la volonté du réalisateur de ne jamais préférer le drame à la comédie, toujours est-il que l’on peine à ressentir une grande empathie pour les protagonistes, malgré les différentes épreuves qu’ils traversent. Le temps passé avec chacun ne permet pas au spectateur de s’investir émotionnellement et l’on peine à comprendre ce qui relie vraiment les différents personnages, à l’exception de leur métier.

Une visée sociale et politique ?

image françois cluzet un métier sérieux
Copyright Les Films du Parc – Rémy Grandroques

Dans sa trilogie médicale, Thomas Lilti mettait en scène l’engagement à travers un métier. Il poursuit cette démarche avec Un métier sérieux et tente de revaloriser une profession de plus en plus décriée et paupérisée : l’enseignement. Il rappelle que les professeurs sont garants d’une mission universelle, la transmission du savoir, et qu’il s’agit d’une responsabilité noble et trop peu considérée. Avec son tableau plutôt réaliste d’un collège de taille moyenne, il dénonce les défaillances du système scolaire : vétusté des locaux, isolement des professeurs, classes surchargées… Quant au personnage du père de Benjamin (Bouli Lanners), médecin peu convaincu par la vocation de son fils, il évoque à lui seul la violence méprisante de la société à l’égard des enseignants.

Cependant, toutes ces pistes ouvertes à la manière d’un film social ne sont qu’ébauchées et le film ne devient jamais vraiment militant. On peine d’ailleurs parfois à comprendre le point de vue du réalisateur car il ne présente pas ses protagonistes d’une manière particulièrement valorisante. Les professeurs sont décrits comme une bande de grands adolescents, pas particulièrement spécialistes de leur matière ; on ne les voit que très peu préparer leurs cours et ils  semblent rarement sortir du microcosme dans lequel ils évoluent. Cette vision assez réductrice de ces hommes et de ces femmes qui n’auraient jamais quitté l’école ne donne finalement pas très envie, et c’est un peu dommage si l’ambition de Lilti était de redorer le blason de ce métier déjà suffisamment méprisé.

Le film répond donc plutôt au questionnement que le réalisateur se posait, enfant, sur ses enseignants : quelle est la vie d’un professeur en dehors de l’école ? A-t-il des joies et des peines ? Que pense-t-il des élèves et entretient-il des relations avec ses collègues ? Lilti ne confronte pas tant ses personnages aux dysfonctionnements de l’éducation nationale qu’à leurs propres contradictions, une fois le cartable déposé.

Un métier sérieux est donc un film sympathique mais inégal, cherchant à dépeindre, non sans clichés, le quotidien d’un professeur de collège. S’il ne parvient pas toujours à convaincre ou à transmettre un message clair sur le métier, il reste un divertissement agréable servi par un casting impressionnant et investi.

Article écrit par

Lorsqu’elle n’enseigne pas l’italien, Lucia Piciullina aime discuter de sa passion pour le cinéma, le théâtre et les comédies musicales. Spécialisée en littérature young adult et grande amatrice de polars et thrillers, elle rejoint Culturellement Vôtre en février 2020 pour y partager ses avis lecture et sorties culturelles.

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