Caractéristiques

- Titre : Maria
- Réalisateur(s) : Pablo Larraín
- Scénariste(s) : Steven Knight
- Avec : Angelina Jolie, Pierfrancesco Favino, Alba Rohrwacher, Valeria Golino, Kodi Smit-McPhee...
- Distributeur : ARP Sélection
- Genre : Biopic, Drame
- Pays : Etats-Unis, Allemagne, Italie
- Durée : 2h03
- Date de sortie : 5 février 2025
- Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
- Note du critique : 8/10 par 1 critique
Maria est le troisième film du triptyque du cinéaste chilien Pablo Larraín (El Club) consacré aux femmes ayant marqué le 20ème siècle. Consacré à la célèbre soprano grecque Maria Callas, il suit Jackie (2016) sur Jackie Kennedy et Spencer (2021) sur le divorce de Lady Di et du prince Charles. Pour ce nouveau biopic, le réalisateur s’intéresse à la fin de la vie de la chanteuse à Paris dans les années 70 (elle disparaît en 1977 à l’âge de 53 ans), affaiblie par la maladie et la solitude, mais trouvant enfin, tardivement, en elle-même, la force et la volonté de faire le tour de sa vie et de chanter pour elle et non plus pour les autres.
Hantée par de nombreux fantômes – celui de l’amour de sa vie, l’armateur Onassis, malade mais encore vivant à ce moment-là, mais aussi ceux de sa jeunesse, marquée par la Seconde Guerre Mondiale – elle ne cherche plus à les fuir mais les accueille enfin, leur parle et écrit son autobiographie dans sa tête, pour elle-même. C’est donc l’histoire d’une femme assaillie de visions que, d’un point de vue extérieur, son entourage pourrait considérer comme « folle », qui se trouve enfin elle-même alors qu’elle approche de la fin de sa vie, sans pour autant se départir de sa personnalité bigger than life avec son ego et les illusions qui l’accompagnent.
Un biopic à la fois crépusculaire et lumineux
La très bonne idée du scénario de Maria (écrit par Steven Knight) est d’avoir fait en sorte, pour laisser libre cours aux réflexions intimes de la Callas, que celle-ci s’imagine être interviewée par un jeune journaliste béat d’admiration devant elle alors qu’elle se promène seule à Paris tout en replongeant dans ses souvenirs. Non seulement cela permet de poser le personnage à la fin de sa vie et de mettre en avant de manière onirique sa lucidité, sa solitude comme sa personnalité de diva qui a toujours autant besoin qu’on l’admire (quand bien même elle est la première consciente de cette vanité), mais cela permet également au film de montrer le monde intérieur et les blessures intimes d’une artiste connue pour son caractère entier et qui se confiait peu en interview.
Cette dimension onirique, à la fois crépusculaire et lumineuse, est la dimension la plus marquante de Maria, et ce qui en fait un biopic unique, bien loin du ton « biographie Wikipedia » de bon nombre de métrages du genre, s’attachant davantage aux faits et à leur chronologie qu’à la mise en avant d’une subjectivité. Cette dimension se ressent également par les partis pris esthétiques du film, qu’il s’agisse des cadrages ou de la très belle photographie d’Edward Lachman, entre teintes chaudes et chaleureuses (dans le nuancier des années 70) et plus froides.
Maria Callas erre en robe de chambre luxueuse dans les grands espaces de son appartement parisien et apparaît déjà comme un fantôme, hantée par un passé qu’elle accueille enfin et dont son entourage proche (à commencer par ses dévoués domestiques) n’arrivent plus à la détourner. Quand eux s’inquiètent qu’elle y laisse la vie, elle a au contraire l’impression, enfin, d’accepter les souffrances d’une existence dont la gloire l’a en partie détournée ou, du moins, dont la gloire l’avait jusque-là consolée.
On apprendra ainsi que la toute première fois qu’elle a chanté devant quelqu’un, c’était face à un soldat durant la Seconde Guerre Mondiale pour sauver sa vie. Chanter lui servait avec sa sœur à gagner de l’argent, mais aussi à éviter le pire. Ce rapport compliqué au chant comme moyen de survie (dans tous les sens du terme, physique, matériel comme psychologique) plus que comme outil d’épanouissement, marquera sa carrière et son existence, notamment amoureuse. Le film montre ainsi que, si Onassis l’aimait, il la considérait au moment de leur rencontre comme un investissement et une coûteuse acquisition. Trouver du plaisir à chanter pour elle et pour elle seule, quand bien même ce chant reste ancré dans une douleur, une souffrance existentielle, est ainsi montré comme la chose la plus importante à la fin de son existence, quelque chose qui lui permettra de faire la paix avec elle-même comme avec les autres et avec le passé et, que l’on apprécie et écoute l’opéra ou non, cela rend le film profondément émouvant, et même bouleversant à plus d’une reprise.
Angelina Jolie retrouve un grand rôle, entre force et vulnérabilité
Enfin, Angelina Jolie est magistrale dans le rôle et retrouve un personnage à sa mesure après des apparitions sporadiques ces 10 dernières années, dont beaucoup semblaient plutôt être là (chez Marvel ou encore Maléfique 2) pour subvenir aux besoins de sa famille tandis qu’elle préférait se consacrer à des projets humanitaires ou bien derrière la caméra. L’actrice a elle-même confié en interview qu’elle était déprimée, avec une force vitale très faible au moment où Pablo Larraín est venu la chercher pour le projet et il est assez difficile de ne pas voir au moins un léger parallèle dans la situation entre les deux stars, que leur statut et les affres de leur existence ont isolé du commun des mortels, quand bien même leurs biographies respectives sont très différentes. Elle apporte en tout cas sa prestance de star à son incarnation de Maria Callas, mais aussi sa vulnérabilité et ses fêlures, et une volonté de fer, sur laquelle le scénario insiste et qu’elle parvient à retranscrire avec beaucoup d’authenticité et de nuance. A ce sujet, l’actrice a vraiment dû apprendre à chanter (il n’y avait pas de playback au moment du tournage) et les scènes de chant mélangent sa voix à celle de Maria Callas.
Au final, la plus grande qualité de Maria est sans doute qu’il n’est guère besoin de connaître la carrière de Maria Callas ni même d’apprécier l’opéra pour apprécier ce biopic singulier et être touché en plein cœur par le portrait qui est ici dressé de cette femme et artiste singulière. L’angle du scénario, la réalisation sensible mais jamais démonstrative de Pablo Larraín, la reconstitution d’époque, la performance d’Angelina Jolie… Tout concourt à nous immerger dès le début dans le monde intérieur d’une femme qui fait le bilan de sa vie avant de rentrer pour toujours dans la lumière et d’accéder à une forme d’immortalité. Vu la qualité de ce biopic (Jackie était déjà un portrait de haut vol), on en viendrait presque à espérer que le réalisateur chilien se tourne vers Marilyn Monroe et lui rende enfin justice (voir notre critique de l’adaptation du roman Blonde par Andrew Dominik). Si cela ne fait à priori pas partie de ses projets, il n’en demeure pas moins que le cinéaste possède une vraie sensibilité pour les portraits de personnalités féminines sortant des sentiers battus.