Une vision d’artiste avant tout
Il y a, dans le genre si particulier de l’album jeunesse, un paradoxe contenu jusque dans son intitulé. Car, à vrai dire, qui a beaucoup lu de ces ouvrages comprend très vite que certains des univers qui y sont développés sont parfois difficilement rattachables à un âge, voire même à une période de l’enfance. Si certaines œuvres se calibrent très vite, lors de l’écriture la plupart du temps, d’autres sont imaginées, peaufinées sans véritablement avoir conscience de vers quel public elles devront se tourner. C’est indéniablement le cas de L’Arbre Merveilleux, un des meilleurs ouvrages de la très douée Anne Herbauts.
L’Arbre Merveilleux raconte l’histoire de monsieur Comme-Toujours, un homme qui vit dans une vaste demeure où chaque chose doit être faite en temps et en heure. Un jour, il prend du retard à cause d’une tempête, et cette pause lui vaudra le courroux d’une fée, laquelle gronde, fulmine à en faire naître Garagargouille, un petit diable plein d’entrain. Ce dernier entraîne monsieur Comme-Toujours jusque chez la Sorcière Faiseuse d’Histoires. Ils y dérobent une bobine, pleine d’un fil magique, lequel les mène droit vers l’Arbre Merveilleux, duquel pendent cinq étranges objets, pour autant de récits…
L’Arbre Merveilleux est un album jeunesse plein d’une intelligence formelle à souligner. Le récit, sous couvert d’une simplicité de traitement, s’avère en fait construit d’une manière si solide qu’il pousse au respect. Monsieur Comme-Toujours et Garagargouille vont se retrouver projetés dans une histoire en forme de mise en abîme : les personnages déroulent un fil (d’Ariane), impriment un mouvement, une narration… à l’image de tout ouvrage. C’est malin et bien vu, d’autant que le texte d’Anne Herbauts est à la hauteur de cette richesse narrative, les phrases semblent contenir en elles-même des rimes, et une rythmique évidente apparaît à la lecture partagée. L’Arbre Merveilleux regorge d’une certaine poésie, des mots certes mais aussi des illustrations.
Une mise en abîme impressionnante
L’Arbre Merveilleux, un titre qui pourrait laisser penser que l’univers qu’il construit est vivement coloré. Pourtant, ce n’est pas vraiment le cas : la direction artistique est plutôt sombre, et ce jusque dans les tonalités chaudes. Il y a dans ces dessins une âme, un style qui pourra paraître parfois un peu inquiétant, tout du moins impressionnant (dans le bon sens). Anne Herbauts imprime à l’album une personnalité entre l’étrange et, comme souligné dans le titre, le merveilleux qui subsiste dans chaque histoire, trouve la sève dont elles sont faites et arrive à la rendre palpable.
L’Arbre Merveilleux pourra peut-être paraître, sur certains passages, comme la visite chez la Sorcière où l’auteure énumère des histoires classiques que des enfants de 5 ans n’ont peut-être pas encore bien en tête, un peu difficile d’accès. Anne Herbauts prend le parti de raconter l’histoire coûte que coûte, en pensant d’abord à son œuvre. Cela se sent, se comprend, et se félicite, car on peut être sûr que l’enfant reviendra vers cet ouvrage pour, à chaque fois, mieux le comprendre. En cela, et pour sa poésie étrange, L’Arbre Merveilleux est un album jeunesse de grand intérêt.
L’Arbre Merveilleux, un album jeunesse écrit et illustré par Anne Herbauts. Aux éditions Casterman Jeunesse, 48 pages, 14.95 euros. Dès 5 ans. Sortie le 7 septembre 2016.