Une nouvelle adaptation bien calibrée
Avec une nouvelle collection consacrée au très populaire H.G. Wells, les éditions Glénat (Voyage au pays de la peur, Les fils d’El Topo T1 : Caïn) se lancent dans une entreprise à la fois risquée et, finalement, assez surprenante. Risquée, car les œuvres de l’auteur sont du genre à avoir été déjà pas mal exploitées. Surprenante, car justement une telle initiative n’était pas forcément attendue. On pouvait se demander si le résultat s’adresserait plus à un public qui découvrirait l’auteur anglais, ou s’il réussirait à rallier autant les fans et les nouveaux venus. Premiers éléments de réponse avec La machine à explorer le temps, issu d’un des classiques de la littérature de science-fiction.
La machine à explorer le temps débute son récit à Londres, en pleine époque victorienne. Trois hommes se rendent chez leur ami, que l’on ne connaîtra que sous la qualification de voyageur du temps. Celui-ci a voulu les regrouper afin de leur démontrer ce qu’ils ne sont pourtant pas prêts à croire : le scientifique a inventé un moyen de se déplacer dans le temps, à travers les époques. Alors que le dîner démontre le scepticisme des trois compères, le voyageur du temps s’absente l’espace de quelques secondes. Parti propre et glabre, il revient négligé et affamé, à la stupéfaction générale. Le scientifique leur révèle qu’il vient de se rendre en l’a 802 701, et débute alors son récit devant une assistance incrédule.
Cette version dessinée de La machine à explorer le temps se révèle très bonne sur de nombreux aspects. Le premier est cette volonté d’être très fidèle à l’œuvre de H.G. Wells, aussi bien dans son cheminement que dans sa substantifique moelle. L’arrivée du scientifique, en cette année très avancée, ne se fait pas sans mystère : la machine disparaît, et le voilà coincé à cette époque qu’il aurait pensé plus évoluée. On retrouve évidemment la découverte des Éloïs, êtres androgynes et baragouinant, blonds comme les blés, vivant habillés, se nourrissants de fruits atrophiés et surtout très reposés sur leurs instinct, plus du tout sur l’intelligence. Le voyageur du temps sauve de la noyade l’une des jeunes filles de cette tribu, son nom est Weena et une relation bienveillante va s’installer entre les deux.
Un futur en forme d’avertissement, mais jamais trop appuyé
Qui dit Éloïs dit Morlocks, car La machine à explorer le temps a cela d’intéressant que le récit démontre une humanité qui a évolué en deux branches. Les Morlocks, donc, de véritables monstruosités aux dents affutés, et à l’appétit du genre carnassier, vivent sous terre et ne sortent que la nuit, se nourrissant des Éloïs les plus faibles. Une problématique de plus pour le voyageur du temps et, sans spoiler (on est vraiment prévenant, car spoiler un classique de la littérature nous semble un concept impossible), tout le monde n’en sortira pas indemne. Dobbs (Mister Hyde contre Frankenstein, Alamo) réussit d’ailleurs à retrouver une bonne partie de l’impact d’un des passages les plus mémorables de l’œuvre de H.G. Wells, qui accouchera d’un drame assez poignant. Sas trop en faire non plus, le scénariste est à la hauteur, et ce tout du long, se refusant de ne donner que dans le grand spectacle, ou au contraire dans la contemplation. Un juste équilibre qui donne à La machine à explorer le temps un bon équilibre, fait de moments plus relâchés et de pics de tensions efficaces.
La machine à explorer le temps est donc l’occasion de suivre au plus près le récit d’origine, sans fioritures qui auraient pu être mal perçues, le tout enrobé d’un dessin qui constitue là aussi une belle satisfaction. Mathieu Moreau (Le Cycle de Nibiru) propose une vision futuriste assez post-apocalyptique, où la nature a repris ses droits sur des édifices encore marqués par l’orgueil d’une humanité finalement quasiment retournée à son plus simple appareil moral. Moderne, aux couleurs affirmées, le rendu fait jeune mais pas à l’excès, de sorte que les traits des personnages restent à destination de toutes et tous. On n’en dira pas plus, mais sachez aussi que le rendu des Morlocks est une réussite qu’on se doit de souligner tout particulièrement.
Au final, La machine à explorer le temps nous apparaît comme un album très recommandable, qui parvient même à faire oublier aux plus férus de H.G. Wells qu’on se trouve là devant une énième adaptation. L’ambiance y est tour à tour merveilleuse et pesante, voir terrifiante sur une poignée de case (ah, cette toute fin du monde), et le récit se refuse de prendre des libertés éhontées. Aussi, on a apprécié la volonté de ne pas truffer l’histoire de messages trop lourdingues concernant la lutte des classes, thème que l’on comprend largement sans qu’un auteur n’en rajoute des tartines appuyées. Ici, ce n’est pas le cas et c’est très bien pour la justesse du propos. La machine à explorer le temps s’avère donc une très bonne surprise, conseillée aussi bien pour les fins connaisseurs que pour les jeunes explorateurs…
La machine à explorer le temps, une bande dessinée scénarisée par Dobbs, illustrée par Mathieu Moreau. Aux éditions Glénat, 56 pages, 14.50 euros. Sortie le 11 janvier 2017.