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[Critique] Le mystère de Lucy Lost — Michael Morpurgo

image couverture le mystère de lucy lost michael morpurgo folio junior gallimard jeunesseUne héroïne intrigante

Auteur jeunesse très prolifique depuis les années 70, auquel on doit notamment Cheval de guerre (publié en 1982, adapté au théâtre en 2007, puis par Spielberg en 2011), Michael Morpurgo est revenu en 2015 sur la période de la Première Guerre Mondiale en Angleterre, à travers cette fable sur la mémoire, le courage et la solidarité, où histoire et légende sont intimement mêlés.

Le mystère de Lucy Lost, désormais édité en version poche dans la collection Folio Junior de Gallimard Jeunesse, est une histoire à deux voix racontant le parcours difficile d’une jeune fille de 12-13 ans amnésique et muette, découverte à moitié morte de faim et blessée par un garçon du même âge et son père, dans les ruines d’un bâtiment sur l’île de St Helen’s. Recueillie dans cette famille généreuse et aimante qui habite les îles Scilly, non loin des Cournouailles, l’héroïne, rapidement baptisée Lucy Lost, devra réapprendre à parler, écrire, et par-dessus tout à vivre alors que la guerre continue de faire rage sur le continent. Figure énigmatique, elle attise immédiatement l’attention de tous, et les enfants l’imaginent tantôt fantôme, tantôt sirène. Cependant, le nom allemand inscrit sur la couverture près d’elle sème le doute parmi les habitants de l’île : serait-elle une « sale boche », une ennemie venue semer la discorde parmi eux alors que les jeunes hommes de l’île sont blessés ou tués sur le front ?

Entre roman historique et légende celtique

La narration fluide et immersive de Michael Morpurgo entraîne le lecteur au coeur de cette île britannique isolée à la beauté sauvage, auprès de ces jeunes héros attachants, à la psychologie développée de manière très crédible. Faisant preuve d’un indéniable talent de conteur, il dépasse la dimension historique du récit pour parer son histoire d’accents mythiques qui s’accordent à merveille avec l’aspect légendaire de ces îles proches des Cornouailles, où la tradition celtique et ses histoires de fantômes, druides et sirènes sont encore très vivaces. Les pages d’annexe en fin d’ouvrage nous apprendrons par ailleurs que l’écrivain britannique s’est inspiré de faits réels et de légendes entourant le naufrage historique du Lusitania, en mai 1915, pour tisser l’intrigue du Mystère de Lucy Lost.

Le Lusitania était un immense paquebot parti de New-York et à destination de Liverpoole qui fut coulé par un sous-marin allemand à une vingtaine de kilomètres de Kinsale, en Irlande. 1198 passagers perdirent la vie dans ce naufrage, et plusieurs habitants de Kinsale, partis secourir les rares rescapés, prétendirent avoir aperçu une petite fille allongée sur un piano au milieu de l’océan ; un élément qui n’est pas sans rappeler le début du roman jeunesse Le ciel nous appartient de Katherine Rundell (2013), où l’héroïne est retrouvée bébé flottant dans un étui de violoncelle suite à un naufrage. Alternant entre le point de vue d’Alfie, le jeune garçon qui découvre l’héroïne et se lie d’amitié avec elle, et celui de « Lucy », des années après les événements, Le mystère de Lucy Lost se déploie progressivement, par vagues, au fil des flux et reflux de la mémoire de la jeune fille, dont nous découvrirons l’histoire par petits bouts.

Une histoire universelle sur le thème de l’identité et de la résilience

Mais l’histoire de cette adolescente amnésique et mutique, éprise de liberté lorsqu’elle chevauche la lande, est aussi une histoire de résilience, qui fait écho au nécessaire travail de deuil auxquels les civils étaient confrontés en temps de guerre. Il n’est donc pas anodin que Michael Morpurgo ait choisi de développer une intrigue autour de la reconstruction d’un personnage qui devra reconquérir son identité afin d’aller de l’avant ; cette dimension renforce d’ailleurs clairement l’impact du récit. L’hostilité du peuple anglais envers les Allemands durant cette période est également interrogée de manière juste et subtile, sans employer de poncifs manichéens et culpabilisants. Le traumatisme laissé par la guerre dans les deux camps est traité avec beaucoup de justesse et d’empathie, de sorte que le roman puisse également être utilisé pour parler aux enfants de 11 ans et plus de ce sujet difficile.

Pour autant, Le mystère de Lucy Lost n’est pas à proprement parler un livre sur la Première Guerre Mondiale, dont les causes ne sont jamais évoquées directement. En reprenant certains éléments historiques liés à cette période, tout en veillant à conserver une certaine épure dans l’intrigue, avec des personnages attachants et archétypaux (la mystérieuse inconnue amnésique, le gentil « fou », le soldat traumatisé, l’étranger bienveillant, l’instituteur tyrannique…) et des ingrédients issus des contes et légendes, Michael Morpurgo tisse avant tout une fable intemporelle véhiculant des sentiments universels, qui procure un certain sentiment d’évasion, malgré la dureté de cette époque et plusieurs événements dramatiques, racontés avec retenue, qui émaillent le récit. Un roman magique, qui n’a pas volé son Prix Sorcières 2016.

Le mystère de Lucy Lost de Michael Morpurgo, traduit de l’anglais par Diane Ménard, Gallimard Jeunesse, sortie le 12 janvier 2017, 400 pages. 8,50€

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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