Premier tome d’une série interrompue… et bientôt ressuscitée
Le succès de Lady Mechanika a poussé Glénat à publier en février dernier sa première série originale, Wraithborn, éditée dans un premier temps de 2005 à 2007 chez DC Comics, avant que le dessinateur, parti voler de ses propres ailes, n’en récupère les droits assez récemment pour la rééditer dans une version redux. C’est donc cette version améliorée que nous avons l’occasion de découvrir en France aujourd’hui. Ce volume comporte ainsi des dessins et couleurs retravaillés à l’aide d’assistants, mais aussi des planches supplémentaires ajoutées afin d’achever du mieux possible cette série brutalement arrêtée par l’éditeur américain une dizaine d’années auparavant.
D’où notre surprise de voir inscrit « tome 1′ sur la couverture de Wraithborn, puisque, à priori, ce volume regroupant les six numéros parus Outre-Atlantique en constituaient l’intégrale. Ce choix éditorial est cependant tout à fait censé puisque Glénat a annoncé que Joe Benitez avait confirmé travailler (enfin !) sur la suite de aventures de sa jeune héroïne, Melanie. Une excellente nouvelle puisque l’on sent bien, à l’issue de ces 160 pages, que l’histoire méritait bien de se poursuivre au-delà afin de pleinement développer cet univers et ses protagonistes. Raison de plus, donc, de découvrir cette « oeuvre de jeunesse » dégageant une belle fraîcheur et une impression de spontanéité finalement plus importantes que son oeuvre-phare, Lady Mechanika, très aboutie et maîtrisée visuellement, avec un style reconnaissable, mais présentant des personnages parfois un peu trop figés dans leurs poses.
Un comics à la Buffy au trait dynamique
Ici, ça bouge, ça pulse, l’encrage est moins épais, moins charbonneux que dans Lady Mechanika — bien que Benitez conserve son style gothique pour les méchants, les monstres et les scènes d’action nocturnes en général— et, du coup, les traits apparaissent plus fins, plus vivants, et facilitent l’identification à la jeune héroïne, Melanie, lycéenne timide, réservée et finalement assez lâche, qui n’ose pas tenir tête à ces chipies de pom-pom girls qui la bousculent, même lorsqu’il s’agit de venir en aide à leur souffre-douleur attitré. Pourtant, comme nous le montrent sans ambages les pages d’introduction, cette adolescente ordinaire va bientôt se retrouver investie d’un immense pouvoir dont elle aura la charge afin de combattre les Forces du Mal et démons en tous genres, bien décidés à s’en emparer. Cela ne vous rappelle rien ? Si, évidemment et c’est tout à fait normal : Wraithborn est clairement une sorte de Buffy contre les vampires passée à la moulinette de la sensibilité de Joe Benitez et sa scénariste Marcia Chen, avec laquelle il avait déjà travaillé sur The Magdalena.
Cependant, si les deux collaborateurs reprennent un certain nombre de caractéristiques de la série de Joss Whedon dans sa trame et son concept général, au point que certains passages peuvent passer pour des clins d’oeil — celui avec les pom-pom girls, entre autres, qui n’est pas sans rappeler le 2e épisode de la série, « Sortilèges »—, Wraithborn n’en possède pas moins une personnalité qui lui est propre. Tout d’abord, son pouvoir n’est pas présenté comme quelque chose qui fait partie d’elle, mais comme une force mystique indépendante dont elle n’est que la gardienne et qui pourrait très bien tomber entre de mauvaises mains ; notion intéressante qui devrait donc être logiquement développée dans les volumes suivants.
Une oeuvre de « jeunesse » avec son lot d’expérimentations
Ensuite, encore une fois, l’univers visuel de Joe Benitez possède une personnalité attachante, avec une large palette de couleurs assez vives évoluant au fil des planches. La dureté des traits des méchants contrastent avec ceux, tout en rondeurs, de Melanie et son amie medium. Le contraste entre cette dimension naïve, qui se dégage également des scènes plus quotidiennes, et la dimension gothique de ses aventures nocturnes participe au charme de l’ensemble et en fait tout le sel. Le découpage, très dynamique, surprend également par sa volonté de bousculer la présentation des cases en en changeant régulièrement la présentation. Si certaines idées fonctionnent mieux que d’autres, le résultat est assez enthousiasmant.
C’est donc avec un réel plaisir que l’on referme ce premier tome de Wraithborn, comics classique mais attachant dont on attend avec impatience la suite, qui permettra de confirmer le potentiel de la série en développant son concept et son intrigue, ici laissés à l’état d’ébauche. Joe Benitez ayant acquis d’autant plus d’expérience depuis 10 ans avec ses séries suivantes, nous avons de très bonnes raisons de nous réjouir et d’attendre la publication des prochains tomes de pied ferme, même si l’attente sera sans doute un peu longue, la suite n’ayant pas encore fait son chemin dans les librairies américaines. Dans tous les cas, Wraithborn, tome 1: Renaissance constitue une bonne introduction au travail de l’artiste, qui a affirmé un style gothique plus unifié avec Lady Mechanika, délaissant quelque peu la dimension plus naïve de son dessin, qui n’est pas sans évoquer ici le trait de Farel Dalrymple pour les personnages de son excellent Wrenchies. La fraîcheur de l’ensemble et les essais et expérimentations que le dessinateur y effectue emportent donc l’adhésion et permettent à ce comics de se démarquer d’autres oeuvres similaires noyées dans le flot des publications américaines.
Wraithborn, tome 1 : Renaissance de Marcia Chen et Joe Benitez, Glénat Comics, sortie le 1er février 2017, 176 pages. 15,95€