article coup de coeur

[Critique] Boca Nueva T 1 : Soufre – Sylvain Almeida et Youness Benchaieb

Caractéristiques

  • Auteur : Sylvain Almeida, Youness Benchaieb
  • Editeur : Casterman
  • Date de sortie en librairies : 6 janvier 2016
  • Format numérique disponible : Oui
  • Nombre de pages : 128
  • Prix : 17€
  • Acheter : Cliquez ici
  • Note : 8/10

Dans la gueule de la murène

La première œuvre d’envergure est souvent l’une des plus importantes étapes de la carrière d’un artiste. D’autant plus dans la littérature, la BD, la musique ou encore le cinéma, le premier effort est très souvent l’image qui va suivre l’auteur pour une partie, plus ou moins courte, de sa carrière. Alors, quant on voit arriver le premier tome de Boca Nueva, sous-titré Soufre, scénarisé et dessiné par le duo formé par Sylvain Almeida et Youness Benchaieb, on se dit qu’on assiste là à la naissance à la fois d’un univers, mais aussi d’une carrière.

Boca Nueva nous propulse dans un univers dont les personnages sont de formes animales, anthropomorphiques pour être précis. Et le titre n’est autre que le nom de la cité-État qui nous intéresse aujourd’hui. Boca Nueva, cuvette rocheuse dont l’incroyable aspect aurait été provoqué par la morsure d’une murène géante, nous propose un environnement à la croisée de la fantasy et du fantastique. Mais, surtout, c’est aussi le point névralgique du commerce de la région. Ce qui, implicitement, ne peut que sentir la poudre…

Un univers pertinent

Ce premier tome de Boca Nueva réussit, en quelques cases, à nous plonger dans un univers bourré d’un écho pertinent avec notre monde. Ce qui frappe, tout d’abord, c’est le travail d’écriture effectué pour accoucher d’une situation politique digne d’intérêt. Tout nous rappelle le parcours qui est le notre : Boca Nueva fut un royaume, tout du moins jusqu’au jour où les marchands prirent assez de pouvoir pour pouvoir se passer d’une figure monarchique. Depuis lors, la cité-État est dirigée de seize mains de maître : huit magistrats, légiférant à l’aide d’une assemblée de sénateurs.

Tout ça, c’est l’histoire officielle, la belle carte postale à disposition des gens de bonne volonté. Seulement, la cité-État de Boca Nueva n’est pas exempte de bien des soucis. Outre que les destins s’y envolent rapidement, et s’y écrasent durablement, le fait d’organiser le pays autour du commerce ne peut qu’attirer des esprits pas très clairs : des contrebandiers. Ce qui emmène l’ouverture dramatique de la BD, parfaite pour donner au lecteur de quoi rentrer dans cet univers. Mais aussi, Boca Nueva aborde courageusement et intelligemment un sujet d’actualité : l’immigration en quête de travail.

image boca nueva extrait

Un fondamental au service du récit

Après avoir perdu son coéquipier dans une arrestation de contrebandiers, l’inspecteur Riggs se rend bien compte des quelques zones d’ombre qui entourent le pouvoir de Boca Nueva. Dans le même temps, un certain Ese Kululu débarque en ville, titulaire d’un passeport temporaire. Son destin ? Intégrer les archives, avec son cousin Fernando, dans le but premier d’envoyer de l’argent à sa famille plongée dans le besoin. Du moins, c’est ce qu’il pensait, car il est vite accueilli par Donga, le lieutenant de police clairement ripoux. Le fragile Ese, du moins en apparence, va devoir intégrer la police, et seconder Riggs, prendre la place de son coéquipier assassiné, dans le but de retarder l’inspecteur et ses forts soupçons. Cette situation est évidemment un parallèle avec notre époque et sa géopolitique en mauvaise passe, mais attention : ce serait une erreur de penser que Boca Nueva est avant tout un sous-texte.

Si le fondamental de Boca Nueva est bien maîtrisé, on peut aussi dire qu’il est utile. Le récit se nourrit avec bonheur de la situation politique de la cité-État, pour mieux s’en servir dans les différents événements du scénario. Le lecteur a donc droit à un récit policier, une enquête menée pied au plancher mais pas n’importe comment. L’écriture est excellente, et les péripéties assez nombreuses pour donner au spectateur de quoi se régaler sur les quelques 124 pages (plus deux en bonus). Quant aux dialogues, adultes et parfois très drôles, ils permettent à Boca Nueva de confirmer l’énorme travail effectué sur la personnalité de l’œuvre.

image boca nueva

Vite, la suite !

Côté dessins, difficile là-aussi de ne pas tomber amoureux de Boca Nueva, qui cultive cette impression douce-amère, sucrée-salée, qui habite l’œuvre. A première vue enfantin, ce style léger, alternant des cases à focus effectué sur le premier plan, et d’autres nous présentant de véritables plans d’ensemble dignes d’œuvres fantasy, se permet quelques débordements violents très bien vus. L’impression recherchée, une perte de repère chez un lecteur que l’on souhaite immerger dans un univers qu’il ne maîtrise pas encore, est trouvée.

Au final, ce premier tome de Boca Nueva est une réussite inattendue, du moins que nous n’espérions pas à ce niveau d’excellence. Le dernier quart laisse assez de questions en suspens pour finir de nous rendre accrocs, et nous pousse à attendre la suite avec impatience. Une naissance sans accrocs !

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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