Un manga pour les gamers et amateurs de films d’horreur
Le pitch de la nouvelle série créée par le jeune mangaka Ryuhaku Nagata, Abyss, publiée aux éditions Soleil, évoque à la fois le dispositif de Cube (1997), le film de Vincenzo Natali et les films d’horreur avec de terrifiants monstres, tout en lorgnant clairement du côté des jeux vidéos. Cinq jeunes gens se retrouvent piégés dans un souterrain labyrinthique, aux prises avec des monstres gluants, les Eatman. Ils n’ont aucun souvenir de la manière dont ils en sont arrivés là et chacun trouve un « trigger » qui lui est attribué, sorte de manette à actionner pour libérer un pouvoir spécifique à chacun : téléportation, lévitation, télépathie, capacité de faire exploser les monstres (qui se reconstituent)… Le héros, Hibiki Dan, jeune homme blagueur et un peu lourd mais étonnamment vif d’esprit, possède quant à lui, grâce à son trigger, la capacité d’utiliser le trigger de n’importe quelle personne du groupe, du moment qu’il peut la toucher. Problème : chaque pouvoir est limité dans le temps et l’espace, de sorte que le groupe doit se coordonner pour mettre au point une stratégie de survie et parvenir à échapper au piège.
Sur ce principe assez classique mais efficace, Ryuhaku Nagata nous propose un premier tome sans temps morts, rapide et plaisant à lire et dont la conclusion, intrigante, laisse augurer un deuxième tome tendu, avec son lot de retournements de situation. Disons-le tout de suite : ce seinen est avant-tout destiné à un lectorat d’adolescents (à partir de 15-16 ans, le manga étant assez sanglant, voire gore par moments) et de jeunes adultes. Les protagonistes sont tous sympathiques, mais leur psychologie est peu fouillée (pour le moment du moins) et ils demeurent assez prévisibles. Le dessin de Nagaka reste classique, ses jeunes personnages ayant le physique type des ados que l’on retrouve dans les mangas leur étant destinés. En revanche, il se fait plaisir avec les Eatman et autres créatures croulant dans ce mystérieux souterrain, qui évoquent le bestiaire du cinéma d’horreur, tandis que l’atmosphère lorgne parfois, toute proportion gardée, du côté de Silent Hill.
Abyss, tome 1 est aussi un manga qui ne cache pas ses multiples références et adresse des clins d’œil au lecteur rompu aux jeux vidéo. On a déjà cité Silent Hill, mais on pourrait également mentionner Resident Evil et les jeux de plateforme, tant les épreuves que doivent affronter les personnages semblent fonctionner par niveaux. Le trigger, lui, fait bien entendu penser à une manette de jeu et la spécificité et les limites de chaque pouvoir rappellent bien évidemment les capacités et points faibles propres à chaque personnage de jeu vidéo que le gamer peut choisir. Cet aspect particulier du manga est bien géré et lui donne un côté ludique assez plaisant.
Efficace et bien mené malgré quelques ficelles
Découpé de manière efficace et taillant dès le départ dans le vif du sujet, Abyss, tome 1 ne s’embarrasse pas d’une mise en place mystérieuse, ce que l’on pourra peut-être un peu regretter. Lorsque Hibiki Dan reprend conscience dans le souterrain lors de l’ouverture et qu’il est secouru par une équipe de quatre adolescents et jeunes adultes, on a la curieuse impression que le reste de la bande, qui prétend s’être réveillé peu de temps avant lui, est resté bien plus longtemps à affronter les monstres. Chacun a trouvé le temps de lire le journal de bord de celui qui les a précédés, de comprendre le fonctionnement des triggers et de prendre conscience de leurs limites, ce qui paraît peu crédible. On sent, en réalité, que Ryuhaku Nagata a voulu gagner du temps et, ma foi, malgré cette légère invraisemblance, cela n’est pas forcément trop gênant. Certaines ficelles sont visibles, mais le récit est bien mené et ménage suffisamment de rebondissements et de suspense pour que la lecture soit agréable. On espère cependant que les autres personnages seront davantage développés dans les tomes suivants, tant Hibiki Dan a tendance à écraser le groupe. Le jeune homme s’impose très rapidement comme le leader, échafaudant seul des plans brillants que les autres se contentent de suivre, en protestant mollement à l’occasion. Si certains personnages masculins semblent posséder une personnalité distincte, cela n’est pour le moment pas vraiment le cas des deux filles du groupe, bien qu’Hiragi ait un peu plus de place et de répondant qu’Haru, qui reste en retrait tout au long de ce premier volume.
En définitive, Abyss, tome 1 est un sympathique seinen qui, sans révolutionner le genre, fonctionne bien et donne envie de connaître la suite. Efficace et assez léger dans le ton, le héros alignant les blagues pataudes, il plaira surtout aux adolescents à partir de 15-16 ans et aux jeunes adultes, amateurs de jeux vidéo et de films d’horreur. Classique dans la forme mais bien pensé, la nouvelle série initiée par Ryuhaku Nagata devra bien entendu confirmer son potentiel par la suite, mais laisse plutôt augurer de bonnes choses.
Abyss, tome 1 de Ryuhaku Nagata, Editions Soleil, sorti le 27 janvier 2016, 160 pages. 6,99€