Henri Beyle, alias Stendhal, a laissé une oeuvre littéraire d’une importance essentielle dans la culture française, mais force est de reconnaître que le grand public ne sait finalement que peu de choses au sujet de l’auteur du roman Le Rouge et le Noir.
Adaptation minutieuse d’une oeuvre inachevée
Plutôt que de nous proposer une biographie terre à terre, Nicolas Saudray, auteur de dix romans — dont deux historiques — fait un choix aussi original que risqué : celui d’adapter un projet d’oeuvre inachevée de Stendhal, débuté quelques années après Le Rouge et le Noir et s’intitulant Le Rose et le Vert, l’histoire d’une jeune fille de bonne famille souhaitant être aimée pour ce qu’elle est à une époque où les mariages de raison l’emportaient sur les sentiments. Une intrigue aussi classique que romanesque en somme, à laquelle l’écrivain apporte quelques changements pour mieux coller à l’époque, mais aussi aux intentions premières de Stendhal, qui avait laissé des pages de brouillon en ce sens : Minna, l’héroïne, sera ainsi juive allemande et non protestante. Pour compléter le tableau, Nicolas Saudray décide d’inclure Stendhal lui-même à l’intrigue, en faisant un personnage périphérique, mais d’importance.
Le résultat trace les contours d’une peinture historique minutieuse et marquante, fidèle dans l’esprit à l’auteur de La Chartreuse de Parme sans jamais tomber dans le pastiche. Si roman historique rime souvent avec grands sentiments, point de tout ça ici : Nicolas Saudray reste toujours très mesuré, évitant le lyrisme facile pour privilégier nuance et subtilité ce qui, là encore, colle à la personnalité de Stendhal, qui était fort critique à l’égard de Chateaubriand et même de Victor Hugo. Ses personnages sont parfois orgueilleux (Léon en particulier), mais se révèlent tranquillement au fil des pages. Le contexte historique de l’époque est brossé avec soin, avec un vrai soucis du détail, révélant la solide connaissance de l’auteur de son sujet et une évidente rigueur. Le Jaune et le Noir s’étend ainsi de la fin de l’empire napoléonien à la Révolution de Juillet, et s’attache à l’intégration des familles juives aisées en Europe. La manière dont le père de Minna, le rabbin et banquier Jungbluth (inspiré d’une personnalité ayant existé, mais au nom différent) inculque à sa fille l’idée qu’elle devra épouser un chrétien afin d’user de son influence pour rapprocher les deux religions est particulièrement intéressante dans la toute première partie du livre, bien que cette idée ne soit pas vraiment exploitée par la suite.
Peinture subtile d’une époque
Nicolas Saudray s’intéresse bien plus aux moeurs de la société mondaine, ses codes rigides et la manière dont ses héros les intègrent, en jouent, pour mieux s’en écarter. Cela est d’autant plus vrai en ce qui concerne le personnage de Minna, dont le point de vue domine largement tout au long des 300 pages du roman. La force de caractère du personnage force l’admiration, sans que jamais l’auteur ne l’idéalise trop fortement ou ne la transforme au contraire en Scarlet O’Hara : elle apparaît comme une jeune fille tout à fait crédible, cultivée et déterminée, mais possédant également la vanité et la vulnérabilité des jeunes gens de son âge et de son milieu.
Puis, une fois les choses engagées entre la jeune fille et Léon, duc désargenté et endetté auprès du banquier Rothschild, l’auteur en arrive au coeur de son roman : la valse des sentiments de deux jeunes gens différents et aussi butés l’un que l’autre qui se rapprochent, feignent distance ou mépris, avant de se trouver véritablement, sans jamais perdre de vue les subtiles alliances conclues entre les uns et les autres, et les codes de la haute société qui exigent un certain comportement en fonction de son rang. Les personnages sont beaucoup dans le paraître, attendant le moment opportun pour lâcher la bonne phrase ou glisser une lettre opportune.
Encore une fois, cela aurait pu être fait de manière bien plus évidente, mais Nicolas Saudray a le bon goût de brosser ce portrait de la bonne société par petites touches, à travers une écriture d’une belle finesse et une construction solide du récit, où les différents rebondissements sont toujours bien amenés. Il en résulte le sentiment de lire un roman historiquement crédible, dont la fibre romanesque reste toujours contenue, ce qui ne fait qu’en décupler la force à bien des égards, malgré une fin peut-être un peu abrupte. On en ressort en tout cas avec un regard nouveau sur cette époque aussi intéressante que complexe politiquement, mais aussi sur Stendhal, dont l’oeuvre, imposante et élevée sur un piédestal, peut de prime abord intimider.
Le Jaune et le Noir : Sur les pas de Stendhal de Nicolas Saudray, éditions Michel de Maule, sortie le 25 août 2016, 319 pages. 22€