Comment faire face aux changements liés à l’entrée dans l’adolescence quand on a 12 ans et qu’on se sent en décalage avec les autres ? Confronter ses propres craintes, mais également son désir naissant, n’a en effet rien de bien simple. Partant de ce sujet maintes fois traité en lui appliquant un traitement onirique, Pauline Bureau, metteur en scène passée par le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique et fondatrice de la compagnie de théâtre La part des anges, parvient à éviter le sentiment de déjà-vu et transcende les sentiments et émotions de ses deux jeunes héros en nous plongeant dans un rêve partagé de toute beauté. Les représentations en région parisienne ne débutant que dans deux semaines, c’est donc par le biais du texte, publié le 10 février aux éditions Actes Sud, que nous avons pu découvrir Dormir cent ans, pièce de théâtre destinée au jeune public et à leurs parents.
La rencontre de deux subjectivités
D’un côté, il y a Aurore, jeune fille de 12 ans qui prend des cours de danse et joue du piano. Elle photographie son corps tous les jours pour observer la transformation qu’elle sent venir et a pris la drôle de manie de tout compter : ses pas de danse, mais aussi les mots de ses interlocuteurs lorsqu’ils s’adressent à elle. De l’autre, Théo, 13 ans, vient d’intégrer une nouvelle classe et se sent seul, que ce soit chez lui, son père étant souvent absent à cause de ses obligations professionnelles, ou au collège, où il a du mal à aller vers les autres. Quand il rentre chez lui, il parle à la Grenouille, le héros de sa bande-dessinée préférée. Voisins de bureau en classe bien qu’ils ne se soient jamais vraiment parlé, Aurore et Théo vont se rencontrer en rêve.
Bien que la première partie de la pièce semble se dérouler dans ce que l’on pourrait nommer platement « la réalité », Dormir cent ans n’est pas vraiment scindée en deux parties étanches l’une vis à vis de l’autre. L’onirisme et le décalage se font sentir dès le début, que ce soit par la curieuse et absurde manie d’Aurore de tout compter ou encore par le dialogue entre Théo et son ami imaginaire la Grenouille, personnage qui exprime ce que le jeune adolescent a du mal à articuler. L’histoire ne nous est pas seulement contée du point de vue de ces deux personnages : c’est leur vie intérieure qui prend vie au travers de la pièce et le moment qui nous amène à la scène centrale du rêve est amené avec beaucoup de finesse.
Ce rêve commun, que partagent Aurore et Théo, est finalement la rencontre de deux subjectivités, qui étaient jusque-là seulement mises en parallèle. Malgré la scène de la rencontre en classe, les deux jeunes pré-adolescents ne s’étaient pas vraiment parlé, n’avaient noué aucun lien. Pauline Bureau convoque dans cette scène une imagerie poétique et des éléments liés aux contes. Le titre de la pièce évoque bien sûr La belle au bois dormant, tout comme le prénom de la jeune héroïne, mais Dormir cent ans est loin d’être une adaptation de cette célèbre histoire. Pas de princesse à sauver ici, ni de baiser : les deux protagonistes sont en état de sommeil (au propre comme au figuré) et vont « s’éveiller » grâce à leur rêve commun, qui va les pousser à sortir d’eux-mêmes et vivre cette période particulièrement riche en bouleversements qu’est l’adolescence.
Une vision onirique de l’entrée dans l’adolescence
Le rêve se fait ainsi métaphore des craintes liées à cette période. « Je ne sais pas où je suis. Ca me fait peur. Tout ce qu’on m’a appris ne sert à rien dans cette forêt « , déclare ainsi Aurore au tigre qu’elle rencontre dans son rêve, exprimant ainsi son désarroi face à cette période de sa vie qui ouvre sur l’inconnu. Plusieurs interprétations sont possibles ici : on peut par exemple être amené à penser que le rêve rejoue, sur un mode onirique, la rencontre en classe entre Aurore et Théo et ce bref moment où leurs coudes se sont touchés. Il symboliserait alors la naissance d’un désir, tout comme l’histoire de La Belle au bois dormant raconte l’éveil d’une jeune fille à son propre désir.
Quoi qu’il en soit, le beau texte de Dormir cent ans, par sa finesse et sa poésie, est à conseiller aux enfants de 8 ans et plus, ainsi qu’aux enseignants, qui trouveront là une belle matière. Le spectacle sera quant à lui de passage au Théâtre Paris-Villette du 25 février au 8 mars et partira ensuite en tournée à travers la France. Culturellement Vôtre vous en livrera comme il se doit une chronique détaillée. Nous avons hâte, en effet, de voir comment l’imaginaire de Pauline Bureau se déploie sur scène.
Dormir cent ans de Pauline Bureau, Actes Sud, 2016, 48 pages. 12€