Terre, attention, danger
Parmi les auteurs de science-fiction contemporains, David Brin tient une place à part. Adepte d’une approche réaliste et positive des situations que de tels romans provoquent, ce diplômé en astronomie, physique appliquée et astrophysique, qui fut consultant à la NASA, propose une autre vision des choses. Vous le connaissez sûrement pour son cycle de l’Élévation, mais surtout pour Le Facteur, adapté au cinéma par Kevin Kostner : The Postman. En abordant Terre, on se frotte à une plume bien installée, sûre de ses forces. Et, grâce à cette édition Milady, enfin dans sa forme idéale ; le roman étant déjà sorti chez Pocket mais divisé en deux tomes : La chose au cœur des mondes et Message de l’univers.
C’est la panique. Au cours d’une expérience pas assez sécurisée, un trou noir provoqué par une expérience scientifique a échappé à tout contrôle. Sa trace est retrouvée, dans le pire endroit que l’on puisse imaginer : dans les entrailles de la Terre. Alex Lustig, le scientifique responsable de cette situation extrêmement alarmante, fait une deuxième découverte : un second trou noir, après que le premier fut rapidement maîtrisé, menace d’engloutir la planète depuis l’extérieur. La Terre est victime de phénomènes ravageurs, mais aussi de la folie des Hommes…
Avec Terre, David Brin livre une œuvre tout simplement visionnaire. En 1990, cet astrophysicien voyait clair dans les possibilités qu’offrent la technologie. Rappelons que, tout récemment, le CERN a vérifié par une expérience très risquée, ce qui rappelle incroyablement le livre ici traité, que le Boson de Higgs existe bel et bien, et aurait pu (cela reste à démontrer) créer un mini-trou noir capable d’engloutir la planète Terre. Un sujet fascinant que nous traiterons pas plus en profondeur, aucune envie de rejoindre l’empoignade scientifique autour du sujet, mais il est clair que David Brin, avec Terre, voit limpidement l’avenir. Ou, du moins, l’un de ceux-ci.
Un brin difficile d’accès, mais captivant une fois dedans
Terre n’est pas un roman facile d’accès. Dès que le lecteur le prend en main, fort de ses 919 pages, il sait où il pose les yeux. Il faut quelques dizaines de pages pour que l’intrigue s’installe, et l’auteur fait le choix d’éclater sa narration pour présenter précisément chacun des personnages. Une approche courageuse car, si elle peut rebuter au premier abord, les fruits récoltés par cette méthodes ne peuvent qu’être bien mûrs. Et, en effet, passé cette centaine de pages assez déroutante, où l’on vogue d’un point de vue à un autre sans qu’ils n’aient vraiment de raccords, le récit de Terre décolle fortement et accouche d’une histoire tellement fascinante que les pages semblent s’enchaînent avec plaisir.
Comme nous l’avons précisé plus haut, David Brin fait partie de la mouvance « science-fiction positive ». Nous préférons utiliser le terme « cohérente », car Terre fait en sorte de voir plus ou moins l’avenir en rapport avec le réel de l’époque à laquelle il fut imaginé… même si tout n’est pas d’une justesse indiscutable. Quelques éléments font preuve d’un angélisme un peu trop forcené, notamment la situation géopolitique en 2038 que l’écrivain se sent de décrire comme paisible, l’ambiance du début des années 1990 n’étant pas aussi tendue qu’aujourd’hui mais tout de même assez pour ne pas tomber dans ce piège (Brin aurait pu imaginer les conséquences de la guerre du Golfe notamment). Mais le reste, ce qui est purement dans les cordes de l’astrophysicien à la plume, étonne de par sa clairvoyance, évidemment romancée mais qui provoque parfois l’impression viscérale du « ça nous pend au nez ».
Visionnaire et rocambolesque
Plus on avance dans Terre, plus on se rend compte que l’intention de David Brin est de confronter une humanité, qu’il a lui-même imaginé dans son futur, à la possibilité d’une catastrophe d’ordre scientifique. Nous le disions, le constat géopolitique utopique est certes un peu étonnant, mais il fonctionne en cela que les conséquences, les réactions internes à l’univers du roman sonnent juste. La meilleur preuve se situe dans les dialogues : pas un seul sonne faux tant le lecteur s’approprie les situations de par l’écho créé. Par exemple Brin imagine, en 1989 donc, l’existence d’un « Réseau », pour le moins semblable à Internet. D’ailleurs, les documents tirés du fameux Réseau, qui s’invitent au fil des chapitres, contribuent grandement à la réussite de cet univers. Bref, l’auteur joue avec cette vision, et ses conséquences, avec tant d’habilité que l’on se demande s’il n’était pas au courant de certaines choses…
Alors certes, tout n’est pas parfait dans l’imposant Terre. Cette pluie de personnages peut noyer le lecteur, et ce début aride pourra en décourager quelques uns. Mais ce qui suit est tellement captivant qu’il est difficile de ne pas en conseiller la lecture à un public patient, les fans du genre en priorité. Notamment pour ce final, qui s’étend sur quelques 100 pages et qui multiplie les rebondissements, les situations grandiloquentes. On pense notamment à l’aventure de l’Arche 4 et d’Atlantis, qui fait passer Terre dans le domaine de l’imaginaire pur, ce qui peut paraître en contradiction avec le reste du récit mais apporte clairement une dose épique pas du tout négligeable. Un roman exigeant, mais qui réserve bien du plaisir à qui saura lui donner du temps. Signalons la présence d’Ambiguité, une nouvelle bonus se déroulant dans l’univers de Terre, assez importante puisqu’elle se passe quelques années après le final. Vous comprendrez, donc, que l’on ne puisse vous en dire plus sinon que cette volonté de proposer une œuvre bien complète est à féliciter.
Terre, un roman écrit par David Brin. Aux éditions Milady, 919 pages, 12.90€. Sortie le 22 Janvier 2016.