Caractéristiques
- Auteur : Clive Barker
- Editeur : Bragelonne
- Date de sortie en librairies : 20 janvier 2016
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 353
- Prix : 25€
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 8/10 par 1 critique
Tout vient à point…
Le livre dont nous allons vous parler dans cet article est un fantasme vieux de trente ans. Les Évangiles Écarlates, ou la réunion plus que prometteuse de deux des personnages les plus marquants de l’univers « splatterpunk » de Clive Barker. D’un côté, Harry D’amour, détective spécialisé dans l’occulte, apparu dans la nouvelle The Last Illusion, que vous connaissez peut-être sous la forme d’un des films maudits de l’auteur : Le Maître des Illusions (que nous aborderons un de ces quatre dans le Ciné-Club). Dans l’autre coin du ring, sans doute l’une des figures les plus connues de l’horreur moderne : Pinhead, le Cénobite ultra-vicelard qui hante l’univers d’Hellraiser. Ce choc au sommet, annoncé voilà 20 ans par Barker lui-même se devait de clore les deux destins, au sein d’un seul et même récit. Se révèle-t-il à la hauteur ?
Dans Les Évangiles Écarlates, cela fait des années qu’Harry D’amour, détective du surnaturel, qui doit sans cesse se défaire de menaces d’outre-tombe, doit aussi combattre ses démons intérieurs. Au cours d’une enquête commanditée par le fantôme d’un vicieux de première, le privé fait une découverte qui va bouleverser sa vie à jamais : un cube énigmatique qui, une fois le puzzle déjoué, ouvre une porte sur les Enfers et appelle les redoutables Cénobites, des démons qui ne reculent devant aucune abjection pour leur recherche ultre-violente du plaisir ultime. Appelée « Boîte de Lemarchand », cette dernière s’excite étrangement à l’approche de Harry D’amour, n’a plus besoin d’une main humaine pour se résoudre. Pinhead et son acolyte Felixson horriblement « formé » débutent ainsi une bien lugubre aventure, qui va pousser D’amour et son groupe à voyager jusqu’en Enfer, où les plans du Cénobite vont dépasser les cauchemars les plus fous…
Les Évangiles Écarlates est un livre qui mérite parfaitement son titre ; lequel, pourtant, en impose pas mal. L’amateur de la littérature de genre, dont Clive Barker s’était éloigné depuis un moment (son dernier roman sorti en France était Jakabok : Le Démon de Gutenberg, en 2010), ne peut que se régaler de l’impressionnante maîtrise dont fait preuve l’auteur pour le morbide pervers au possible. Nous n’allons pas mâcher nos mots : le prologue des Évangiles Écarlates figure parmi ce qu’a écrit de mieux Barker. Tout est là. L’installation d’une ambiance malsaine au possible, avec une facilité déconcertante. Le suspens qui vous étreint et vous force à enchaîner les pages sans même y faire attention, les yeux écarquillés. Le sens de la description à la serpe qui, constamment, garde à l’esprit de ne pas casser le rythme par des paragraphes interminables, tout en créant des images très précises dans la tête du lecteur. Et quelles image, bon sang quelles images !
Oui, Les Évangiles Écarlates est gore. Très, voir très, très gore. Celles et ceux qui sont des habitués à l’univers « splatterpunk » de Clive Barker n’en seront pas étonné. Mais ce serait inexact que de résumer ce livre au sang versé, aussi abondant soit-il, par des moyens aussi immoraux soient-ils. Après ce prologue fabuleux, qui a le mérite de replacer le personnage de Pinhead de manière bien marquante, c’est au tour du détective Harry d’Amour de se rappeler à notre bon souvenir. Si la cadence se calme légèrement, on est encore étonné, malgré les multiples lectures de ses œuvres, par la science du découpage dont il fait preuve. La forme de ces Évangiles Écarlates est tout simplement jouissive. Aucun chapitre n’exagère, Clive Barker domine son sujet en tordant le média livre à sa propre utilité, comme un réalisateur utilise sa suite d’objectifs pour traduire au mieux sa vision du monde. Chapeau bas à l’auteur, tant l’on n’a pas senti passer les 353 pages qui, comme on l’écrivait plus haut, ne vont absolument pas où le lecteur les attendait.
Un point final stupéfiant
Les Évangiles Écarlates donne autant dans l’épouvante que dans l’aventure la plus sombre qui soit. Les cent premières pages sont clairement dans le ton attendu, puis Barker nous emmène ailleurs. En Enfer, plus précisément. Les amateurs pointus de l’œuvre de l’écrivain savent que ce genre d’épopée a été récemment développé, pas par écrit mais dans un jeu vidéo : l’injustement mésestimé Clive Barker’s Jericho (sorti en 2007 sur Playstation 3, PC et Xbox 360) qui plongeait une escouade au sein d’une monstrueuse cité perdue. On retrouve un peu de cette ambiance dans Les Evangiles Ecarlates, l’impression de ne pas être totalement perdu dans cette description d’un Enfer assez éloigné des représentations classiques. Ici, on est projeté dans une ville aux couleurs que l’on imagine trépassées, aux monuments aussi inhumains qu’imposants, et surtout qui a sa propre vie. Tout est fait pour nous faire ressentir le lieu sur la base de nos connaissances, et non de l’imaginaire pur.
Parti à la poursuite d’un Pinhead dont le but est savamment dévoilé au fur et à mesure du récit, et coupable d’un rapt qui les pousse à agir, le groupe formé par Harry D’Amour et ses acolytes vont devoir faire face à autre chose qu’un torrent de lave dominé par un type à cornes. Tout un écosystème habite cet univers, avec ses habitants évidemment monstrueux mais tenus par une hiérarchie. Et des légendes sont colportées. La plus folle, et vérifiée dans le récit, est celle qui a pour figure centrale nul autre que… Lucifer. Il est clair que Les Évangiles Écarlates donne à Pinhead une dimension qui surpasse en tous points les différentes suites au film signé par l’auteur, le seul basé sur l’unique nouvelle Hellraiser. C’est bien simple, cette vraie suite met un taquet surpuissant aux réalisateurs qui ont tenté, séquelles après séquelles, de trouver une signification aux agissement de Pinhead. La réponse à cette grande question, le fameux « pourquoi ? », trouve ici une réponse pour le moins impressionnante. Et que ceux qui craignent qu’on leur enlève une part d’imaginaire se rassurent immédiatement : Barker leur réserve une matière telle que leurs divagations trouveront bien d’autres raisons de s’exciter.
On pourra peut-être reprocher à ces Évangiles Écarlates d’être, finalement, assez courtes. Les 353 pages sont suffisantes pour donner la fin qui nous était promises… mais tant de recoins de cet univers mériteraient d’être fouillé que l’on a un petit pincement au cœur en arrivant à l’épilogue. On s’accroche tellement aux personnages, et l’incroyable exode de Pinhead provoque tant d’images fortes, que les gourmands que nous sommes en demandent encore, tout en convenant qu’il fallait bien en finir. Alors, l’on quitte Les Évangiles Écarlates la tête remplie de représentations démoniaquement cruelles, mais aussi blindée d’une poésie macabre de très bonne tenue. Une grande réussite donc, qui s’accompagne d’une toute aussi aboutie édition par Bragelonne. Un grand format qui trônera dans les bibliothèques de qualité, avec sa couverture très dans le ton, son papier épais d’une qualité irréfutable, relié de façon luxueuse. Un objet de grande classe, pour un récit mémorable, ça ne se refuse pas !