La terreur exigeante
Au rayon des auteurs de littérature horrifique, Peter Straub est l’un des noms les plus importants. Depuis son premier grand succès, le fameux Ghost Story (1979, adapté au cinéma sous le titre Le Fantôme de Milburn), la carrière de cet homme n’a cessé de se renforcer en romans d’importance, comme Koko, La Gorge et surtout l’excellent Shadowland. Il co-signe aussi, avec son ami Stephen King, Le Talisman et sa suite Territoires. Straub, dont le style très précis le pousse à quelques fois aborder le thriller macabre plutôt que la terreur pure, est aujourd’hui à l’honneur aux incontournables éditions Bragelonne, avec un Mr. X réputé comme l’un de ses plus mystérieux…
Mr. X raconte l’histoire de Ned Dunstan qui, depuis son enfance, vit un phénomène terrifiant le jour de son anniversaire : il se retrouve plongé en plein cauchemar d’une violence hallucinante, confronté à un personnage férocement cruel… Mr. X. Cette année, Ned se rend dans l’Illinois, à Edgerton pour être précis, pour rendre visite à sa mère mourante dans la ville où il vécu son enfance. Alors que la vie quitte inexorablement le corps de la vieille femme, Ned Dunstan apprend enfin la terrible vérité à propos de son père et de sa famille. De bien lourds secrets liés au mystérieux homme en noir qui le terrorisent depuis des années…
Lire Mr. X, c’est à la fois perdre ses repères et en retrouver d’autres issus de plumes bien connues. Il est indéniable qu’en pénétrant l’univers de Peter Straub l’on se retrouve plongé dans une ambiance « à la Stephen King », notamment dans la description d’Edgerton, petite ville dans laquelle est ostensiblement installée cette atmosphère entre nostalgie de la partie émergée et terreur de celle immergée. On retrouve cette impression jusque dans la construction de Ned Dunstan, entre attirance vers une mère qui a négligé son éducation, et des secrets familiaux pour le moins pesants. Autre grosse impression, celle de retrouver dans Mr. X un peu de l’esprit Lovecraftien, avec cette histoire de gourou et tous ces éléments très clairement à double sens.
Un récit précis, un univers dense
Mais Mr. X n’est pas pour autant un roman qui ne se base que sur des références. Peter Straub étant une plume de grand talent, peut-être moins citée que Stephen King ou Clive Barker mais tout aussi importante, l’écrivain creuse son histoire sans l’ombre d’un doute en lui-même. Sur plus de 500 pages, l’auteur s’accorde une liberté de traitement étonnante, multipliant les détails et approfondissements d’un univers très vaste. Une volonté de précision constante qui pourra peut-être ne pas plaire aux amateurs de récits avant tout rythmés, mais qui passionnera très certainement les lecteurs qui aiment s’approprier non seulement une histoire mais aussi tout ce qui la compose.
Mr. X n’est pas facile à aborder, et ne fait rien pour prendre le lecteur par la main. Le meilleur exemple est ce début de récit, qui n’hésite pas à multiplier les personnages, mais aussi à installer un formel exigeant. On est par exemple surpris par les deux points de vue, parfois abrupts mais qui réussissent, après un petit temps d’adaptation, à atteindre leur but : nous terroriser. On passe ainsi d’un Ned Dunstan en pleine quête de vérité et chassé par ses démons, au surnommé Mr. X, qui cultive un humour plus que noir, et décrit ses exactions odieuses. L’effet est saisissant, mais il demande au lecteur un investissement certain qui, s’il est consenti, pourra accoucher d’une lecture d’une traite qui ne pourra que se prolonger sur une deuxième. Pas de spoilers ici, sachez juste que le final est du genre… renversant.
Au final, Mr. X est une histoire qui tourne autour des sujets du double, de la famille, des choses qui se cache dans l’ombre du réel. Si le récit très dense pourra rebuter les habitués à une lecture fluide, il deviendra passionnant pour qui aime se projeter corps et âme au sein d’un univers précis, bourré de précision et ne laissant aucune place au hasard. On regrette tout de même que Peter Straub ne gâte pas plus le trio des grands-mères sorcières, des personnages hauts en couleurs qui apportent une étrange fraîcheur au sein d’un livre qui cultive avec brio le putride, l’inquiétude, le doute et parfois très dérangeant quand il nous plonge dans l’esprit de ce décidément bien flippant Mr. X.
Mr. X, un livre écrit par Peter Straub. Aux éditions Bragelonne, 528 pages, 20€. Sortie le 16 Mars 2016.