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[Critique] Fight Club 2 – Chuck Palahniuk & Cameron Stewart

image couverture fight club 2 chuck palahniuk cameron stewart éditions super 8« La première règle du Fight Club… » Tout le monde se souvient de la réplique culte du premier roman de Chuck Palahniuk, publié en 1996 avant d’être adapté au cinéma par David Fincher en 1999 avec Brad Pitt et Edward Norton dans les rôles principaux. C’est le succès de ce film, qui devint une oeuvre culte à sa sortie en DVD, qui permis au roman, qui avait été apprécié par la critique, de connaître une seconde jeunesse, à tel point que l’édition originale de celui-ci est à présent considérée comme un objet collector.

Chuck Palahniuk accéda ainsi au statut d’auteur culte, voire porte-parole d’une génération, et écrivit quinze autres romans, avec des fortunes diverses. Reconnu comme un auteur subversif, écrivant dans une veine souvent satirique, l’écrivain a souvent donné dans la surenchère, ce qui lui valut de nombreuses critiques. Son dernier roman en date, Orgasme (que nous avions beaucoup apprécié), fut accueilli très tièdement aux États-Unis, certains critiques arguant qu’à trop vouloir choquer et en rajouter, Palahniuk était devenu finalement assez ennuyeux. Reproche qui ne se justifie que si le lecteur cherche matière à être choqué, ce qui n’était pas nécessairement la volonté de l’auteur, qui prenait plutôt son intrigue abracadabrantesque pour prétexte afin de proposer une critique de la manipulation des masses par le principe de plaisir tout en feignant de s’adresser à un lectorat féminin (voire féministe), qu’il prenait volontairement à rebrousse-poil, en suggérant qu’une femme accédant au pouvoir pourrait tout aussi bien utiliser les mêmes armes qu’un homme, au nom d’idéaux pourtant nobles.

Une suite qui va faire débat

image planche fight club 2 chuck palahniuk cameron stewartQuoi qu’il en soit, Chuck Palahniuk est de ces auteurs, autant adulés que critiqués, qui ne manquent pas de faire parler à chacune de leurs publications et la parution française, le 28 avril 2016, aux Éditions Super 8 de ce Fight Club 2 (qui a déjà été publié en 10 numéros en Amérique) s’annonce déjà comme un des événements forts de l’année. Dans son pays natal, cette suite hautement attendue a provoqué des réactions diverses de la part des lecteurs et de la critique : sa meilleure oeuvre depuis des années pour les uns, un cassage en règle de ce qu’il a construit pour les autres, le comics (car il s’agit bien d’un comics) n’a laissé personne indifférent.

A la lecture de cet épais volume qui se lit d’une traite, on comprend pourquoi. Voici une oeuvre qui va faire débat, mais pas forcément pour les raisons que l’on pense. Il y a ceux qui seront enthousiasmés par le style du comics et le parti pris de Palahniuk, et les autres, qui seront immanquablement déçus que l’auteur joue ainsi avec les attentes de ses lecteurs. Mais après tout, quand une oeuvre est ainsi devenue l’étendard d’une génération (notion qui semble poser problème à l’auteur lui-même, nous y reviendrons), comment pourrait-il en être autrement ? D’autant plus qu’une partie non négligeable des personnes qui achèteront Fight Club 2 en librairie aura vu le film de Fincher sans avoir lu le roman original, qui diffère par certains aspects de son adaptation, notamment en ce qui concerne la fin.

Une oeuvre hybride, qui réfléchit sur elle-même

image fight club 2 chuck palahniuk cameron stewart planche chuck palahniukC’est là qu’il nous faut préciser que Fight Club 2 est une oeuvre pop et hybride, qui prend dès le départ en compte le fait que le film de Fincher est passé par là, ce qui donnera lieu à une mise au point de Chuck Palahniuk himself lors de la conclusion, de nombreux lecteurs n’étant pas familiers du roman. Néanmoins, si l’on retrouvera avec plaisir des allusions au film, le comics fait également allusion à des éléments qui sont propres au roman, mais ne gênent en rien la compréhension de l’ensemble pour ceux qui auraient fait l’impasse sur cette lecture. Le choix du comics constitue en ce sens un choix assez logique : ni roman ni oeuvre audiovisuelle, il constitue une sorte d’entre-deux, permettant notamment de faire certains rappels visuels au film, tout en touchant un plus grand nombre de lecteurs.

Il ne faut cependant pas voir dans ce passage de Chuck Palahniuk au comics une volonté purement commerciale : l’histoire a véritablement été pensée pour ce format, qui est ici exploité avec beaucoup d’inventivité par Cameron Stewart. Réalisé dans un style flamboyant, le roman graphique possède également une dimension clairement métatextuelle. Cela commence par l’insert de pilules ou de pétales de rose par-dessus certaines cases, empêchant en partie le lecteur de lire les bulles ou bien masquant certains visages. Le procédé est utilisé à des fins diverses : rendre compte de l’état d’esprit du personnage, déphasé par les médicaments, souligner le peu d’importance de certains dialogues ou encore commenter de manière ironique certains passages. Et puis il y a la présence de Chuck Palahniuk, qui se mêle aux personnages de l’histoire tout en conservant son statut d’auteur, venant briser le quatrième mur, ce qui aura son importance par la suite.

Un comics à la forme très libre

image fight club 2 chuck palahniuk cameron stewart planche pillulesFight Club 2 reprend les thèmes du roman original (et du film), en leur ajoutant celui de la filiation et les pousse à leur paroxysme. Sebastian, médicamenté, a fini par devenir ce contre quoi son subconscient luttait à travers la création de Tyler Durden, sa personnalité alternative. Époux mollasson et père de famille distant, il vit dans une sorte d’apathie, sans se poser trop de questions. Evidemment, bien vite, son alter ego refait surface et on se rend compte qu’il n’est jamais vraiment parti. Pire, le fils de Sebastian et Marla, Junior, 9 ans, semble avoir été enrôlé par Tyler et sa bande du Projet Chaos, qui lui apprennent en douce à fabriquer des explosifs. Lorsque la maison familiale brûle et que leur progéniture disparaît, Sebastian et Marla, chacun de leur côté, vont tout faire pour le retrouver. Notre héros va donc devoir replonger s’il veut sauver son fils…

Chuck Palahniuk a privilégié une forme très libre pour la narration de cette suite : Sebastian n’est plus le narrateur d’un bout à l’autre de l’histoire, qui est tour à tour racontée par un narrateur omniscient, Marla ou lui-même. La présence de flash-backs, de rêves, ainsi que la présence de l’auteur lui-même parmi les personnages, permettent de présenter un récit éclaté et dynamique, qui ne fait jamais perdre le fil au lecteur. Les différents éléments de l’intrigue vont quant à eux assez loin, l’auteur n’hésitant pas à faire dans le déjanté, en faisant intervenir, par exemple, une armée d’enfants atteints de vieillissement précoce. Une liberté qui se retrouve également dans le dessin de Cameron Stewart et la présentation de la maquette, qui donne parfois lieu à un éclatement onirique.

Tyler Durden : le grand malentendu

image brad pitt tyler durden fight clubSi le début de l’histoire est somme toute assez classique (le couple de quarantenaires installé dans sa routine), très vite, l’intrigue dévie de sa trajectoire. Tyler Durden réapparaît pour notre plus grand plaisir, mais les lecteurs en seront néanmoins pour leurs frais. En effet, le film de David Fincher fut célébré par beaucoup comme une critique anticapitaliste et joyeusement anarchiste de la société de consommation, qui anesthésie ses sujets, notamment les hommes. Et le personnage de Tyler Durden, auquel Brad Pitt apportait son charisme, a été perçu par de nombreux spectateurs comme une figure cool, ce qui n’a pas manqué d’interpeller Chuck Palahniuk. Car, si l’on y regarde de plus près, Palahniuk, tout en posant un regard acerbe sur notre société, critique également la position anarchiste incarnée par Tyler Durden. Le film, tout en proposant une fin alternative, fait de même. L’alter ego du héros, s’il prétend vouloir libérer celui-ci et ses semblables, s’impose en réalité comme une figure dominatrice, flirtant avec le fascisme, qui soumet ses « disciples » et garde le contrôle sur eux. Il tient le rôle d’un père de substitution pour Sebastian (thème qui prendra toute sa dimension dans Fight Club 2), qui doit donc se débarrasser de lui, une fois son apprentissage terminé, pour se libérer.

Dans le film, du moins. Car le roman est finalement plus sombre. Si dans le film, une fois Tyler disparu, le héros est réuni avec Marla tandis que les bâtiments financiers s’écroulent, signant le début d’une ère nouvelle, dans le roman, le rôle tenu par le narrateur est plus ambigu. Tyler y est moins présent, s’effaçant à mesure que Sebastian prend conscience qu’il ne fait qu’un avec lui, le laissant s’accomplir par lui-même. Contrairement au personnage incarné par Edward Norton, le héros participe activement au Projet Chaos et Tyler ne constitue pas tant un antagoniste qu’un alter ego encourageant le personnage à suivre ses désirs. Quant à Sebastian, Chuck Palahniuk ne manque pas de souligner au sein même du comics que, du début du roman jusqu’à la fin, il cherche par tous les moyens à obtenir amour et attention en utilisant la tromperie. Son sacrifice final ne débouchant pas, contrairement au film, sur une fin optimiste avec Marla, mais à son internement en hôpital psychiatrique, où il apparaît que les fidèles de Tyler attendent toujours son retour. Bref, faire de Tyler Durden l’icône subversive de toute une génération qui ne se reconnaît pas dans les valeurs de la société actuelle, est finalement assez ironique.

Une partie du public, se basant sur le film (qu’il n’a pas tout à fait compris non plus), a voulu voir un personnage optimiste en dépit de son état d’esprit nihiliste et est largement passé à côté du point de vue bien plus nuancé de l’auteur. Fight Club est devenu le roman de toute une génération, mais celle-ci s’est finalement approprié l’histoire, la transformant au passage. Fight Club 2 prend cet élément en compte en le traitant de manière directe, quitte à  prendre une partie des lecteurs à rebrousse-poil. Palahniuk prépare progressivement le terrain, nous demandant même, dans l’introduction de l’un des chapitres : « Etes-vous d’accord avec ce que vous lisez ? Comprenez-vous ce que vous lisez ? »

Tyler Durden n’apparaît donc pas comme un libérateur, mais plutôt comme un virus infectant et pervertissant tout sur son passage. Il n’est pas seulement l’ennemi du capitalisme, mais un agent du chaos, asseyant une emprise toujours plus grande sur ses disciples, qui lui font une confiance aveugle. Cette influence néfaste s’illustre ici à travers le fils de Sebastian et Marla, Junior. Reprenant le thème du père de substitution qui lui est cher pour en faire un élément central de l’intrigue, Palahniuk va donc préparer un affrontement père et fils, tout en faisant des révélations sur l’enfance de Sebastian par le biais de flash backs. Palahniuk part du premier Fight Club pour mieux s’en affranchir, quitte à se mettre une partie des lecteurs à dos.

Les idées nous engendrent

image fight club 2 illustration david mackL’auteur, malin, aborde de manière frontale le fait que la fin choisie ne pourra que frustrer et décevoir les attentes de ces lecteurs. Le processus créatif et la place de l’écrivain sont également questionnés, pour aboutir à une sorte de consensus : une fois l’oeuvre publiée, l’auteur s’éloigne, les lecteurs se l’approprient,  même si leur vision diffère des intentions initiales du créateur, qui a lui-même tendance à se faire rattraper par sa créature, qui ne peut que prendre son indépendance. Ce qui illustre l’argument central de Fight Club 2 : ce ne sont pas nous qui engendrons les idées, mais plutôt les idées qui nous engendrent. Un concept qui semble appelé à être développé plus en amont dans Fight Club 3, qui a d’ores et déjà été annoncé.

Alors, bien évidemment, on pourra regretter une certaine propension de l’auteur à s’éparpiller à mesure que la structure narrative adopte une forme de plus en plus éclatée. Si cela est en partie voulu pour coller à l’état d’esprit du héros, on sent également que Chuck Palahniuk se réserve pour Fight Club 3, d’où une « fausse » fin qui pourra en frustrer certains mais s’avère assez savoureuse si l’on apprécie les oeuvres qui réfléchissent sur elle-même.

Si le pari était risqué, pour ne pas dire casse-gueule, Fight Club 2 s’en sort donc avec les honneurs et parvient à surprendre le lecteur, tout en le tenant en haleine. Chuck Palahniuk évite de se complaire dans son statut d’auteur culte et ne cherche pas à se répéter. N’hésitant pas à prendre à rebrousse-poil les lecteurs qui n’auraient vu que le film de Fincher et auraient une vision idéalisée de Tyler Durden, l’auteur américain n’hésite pas à casser son jouet, refusant de cadrer avec cette image de « roman de toute une génération », qui renvoie à un idéal auquel il ne semble pas croire. Fight Club a été en partie mal compris et les sentiments de l’écrivain, dépassé par son oeuvre, sont mis à contribution dans une intrigue comportant une dimension métatextuelle drôle et convaincante, mais qui pourra laisser certains lecteurs sceptiques.

Sebastian (le narrateur autrefois anonyme) a vieilli, Marla aussi, mais Tyler Durden est toujours là, égal à lui-même ou presque. Palahniuk mène l’intrigue et la tendance anarchiste de Tyler à son paroxysme, rendant bien plus explicite la dimension fasciste du Projet Chaos. Dans un flash-back, l’alter ego du héros n’hésite pas à dire que le monde, sous son influence, sera sauvé ou bien connaîtra sa période la plus sombre depuis le nazisme. La liberté absolue ne peut que créer le chaos, l’anarchie prise au pied de la lettre est illusoire. En tant que chef déifié, étendant son emprise sur les autres, Durden n’est pas et n’a jamais été le libérateur que ses disciples veulent voir en lui.

Fight Club 2, c’est également une oeuvre pop, hybride, qui prend en compte le succès rencontré par le film et s’adresse tout aussi bien aux fans de celui-ci, qui retrouveront certains rappels visuels disséminés de-ci de-là, qu’aux lecteurs du roman. Le dessinateur Cameron Stewart apporte beaucoup d’inventivité et de panache à l’ensemble, pour un roman graphique visuellement réussi, qui se lit d’une traite. Malgré une petite tendance à l’éparpillement dans le dernier tiers, on est donc tout à fait disposés à accueillir un Fight Club 3, qui devrait approfondir la thématique de la filiation esquissée ici. Cerise sur le gâteau, l’édition proposée par les Éditions Super 8 est tout simplement superbe, avec sa couverture épaisse (présentant une magnifique illustration de David Mack sous sa jacquette) et une impression de grande qualité. Un bel objet qui justifie pleinement de privilégier la version papier.

Fight Club 2 de Chuck Palahniuk et Cameron Stewart, Éditions Super 8, sortie le 28 avril 2016, 298 pages. 25€

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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