Concis, nostalgique et réaliste, 42, rue de Sèvres est le deuxième roman de Luc Bénichou après le thriller Code contagieux en 2011. Ce docteur en médecine, qui fut durant 20 ans à la tête d’une importante agence de communication scientifique et qui a inauguré les consultations en photothérapies, a plongé dans ses souvenirs pour écrire ce court récit où passé et présent se mêlent pour évoquer l’histoire de l’hôpital Laënnec, ancien Hospice des Incurables, fondé en 1634 pour venir en aide aux nécessiteux. Un lieu rempli d’Histoire, donc, où se croisent les fantômes de Blaise Pascal, qui insista pour être transporté là-bas alors qu’il était souffrant, ou de Turgot, qui fut inhumé dans sa chapelle. Les tombeaux seront rasés en même temps que la sacristie à la suite d’une « erreur humaine » commise par une entreprise de démolition lors des travaux engagés en 2011, onze ans après la fermeture de l’hôpital et un an après son rachat afin de le transformer en complexe immobilier de luxe.
Un récit contre l’effacement et l’oubli
Attristé par ce manque de respect envers ce lieu pourtant classé monument historique, Luc Bénichou rappelle son importance et situe l’action de son roman en 1965, année où il travailla au service de chirurgie de l’hôpital. 1965. Une époque proche et lointaine à la fois, qui évoque les Beatles et les Rolling Stones, la révolution sexuelle qui couvait encore, et des avancées importantes (contraception, droit à l’avortement, droit pour une femme d’exercer une activité professionnelle sans l’accord de son mari) qui n’avaient pas encore été conquises. S’efforçant de coller au plus près de la réalité sans pour autant proposer une autobiographie, l’auteur s’est inventé un alter-ego, Romain, étudiant en médecine dans les années 60, dont nous ne savons pas grand chose, et qui sera durablement marqué par son expérience à l’hôpital Laënnec et le sort d’une jeune patiente de 18 ans, admise en urgence après avoir avorté clandestinement.
Les chapitres se déroulant en 1965, où nous suivons Romain alors qu’il doit gérer une situation difficile à l’hôpital, sont entrecoupés de passages suivant l’avancement des travaux suite au rachat des lieux, de 2011 à 2015. Si l’hôpital, ses fantômes et son histoire, demeurent dans les mémoires, ses traces sont progressivement effacées à mesure que le 42 rue de Sèvres se métamorphose pour ne plus rien laisser deviner de son passé. L’écriture de Luc Bénichou, simple et précise à la fois, parfois empreinte de nostalgie ou de mélancolie, nous plonge au cœur des lieux, dans le quotidien de cette équipe médicale du milieu des années 60. Sensible mais restant toujours à la bonne distance, il taille dans le vif de son récit pour en extraire la vision d’une époque, d’un travail, d’un lieu, comme autant d’instantanés arrachés aux griffes de l’oubli. Et rappelle au passage que si la médecine a évolué, que les droits des femmes ont progressé, la misère et la pauvreté fabriquent toujours de nouveaux nécessiteux.
42, rue de Sèvres : Les fantômes de l’hôpital Laënnec, Editions Michel de Maule, sortie le 26 mai 2016, 99 pages. 16€.