Maxime Chattam déroutant mais brillant
Un nouveau roman signé Maxime Chattam est toujours un événement dans l’univers de la littérature (française ou non, par ailleurs), d’autant plus que ses habitués sentent l’auteur dans une phase de renouvellement depuis quelques années, et la fin de la saga Autre-Monde pour être précis. On sent la plume prendre plus de temps pour aborder des questions de fond, voire tourner de plus en plus son style vers un humour à forte tendance cynique à l’aide de tournures de plus en plus impactantes. Comme pied de nez, Maxime Chattam continue sa mue en s’appuyant sur un roman de jeunesse. Pas n’importe lequel d’ailleurs : le premier qu’il ait pu imaginer, alors qu’il allait reprendre ses études de lettres modernes. Inutile de chercher ce qui subsiste de la première version de ce Coma des Mortels, le jeu n’en vaut pas la chandelle, toujours est-il que le voilà désormais à disposition. Et qu’il est sacrément surprenant.
Le Coma des Mortels s’intéresse à un certain Pierre, un jeune homme d’un cynisme redoutable comme le lecteur pourra s’en rendre compte bien assez vite. Plus que l’histoire en elle-même, que l’on désire ne pas trop aborder sous peine de martyriser la surprise qui doit être celle du lecteur, c’est la structure qui doit tout d’abord attirer l’attention. En effet, Le Coma des Mortels se présente comme un flash-back : nous faisons connaissance avec Pierre alors qu’il s’accorde un nouveau départ, une nouvelle vie, dans un lieu paradisiaque de l’hémisphère Sud, en chemise hawaïenne et tout l’accoutrement. Mais alors que l’histoire se rembobine, il est clair que quelque chose cloche avec le jeune homme. On écrit bien avec, et non chez. Car il semble que la grande faucheuse soit du genre appliquée dans son entourage proche, et dans des conditions pas banales. Avec du style, du moins pour celles et ceux qui seront assez psychopathes pour trouver qu’une éviscération peut être commise avec talent. La victime de cette dernière, c’est la petite amie de Pierre, et la police commence à avoir de sérieux soupçons… infondés ?
Vous voyez le vestiaire, là-bas ? Laissez-y une bonne grosse partie des certitudes que vous pouvez avoir sur le style de Maxime Chattam. Le Coma des Mortels va vous faire ressentir des sensations que l’on retrouvait certes parfois à l’état embryonnaire dans d’autres ouvrages (l’humour hyper grinçant s’invitait de temps en temps), mais qui explosent dans ce roman avec une force que l’on ne soupçonnait pas. Le personnage de Pierre est l’occasion d’une description jamais vue jusqu’ici chez l’écrivain, tant il s’appuie sur ses crises pour mieux parler des nôtres. Impression qui domine, et ce très clairement : l’auteur s’amuse énormément avec ce trip qui, il en est conscient, prendra à rebrousse-poil ses fans de la première heure, mais aussi les nouveaux-venus. Pas que la lecture soit difficile, que nenni ! Au contraire même, Chattam est toujours aussi impressionnant dans sa façon de nous happer dans n’importe quel univers, et Le Coma des Mortels ne fait pas exception à la règle tant le livre semble s’agripper aux mains. Non, c’est que l’on n’attendait pas l’écrivain aussi à l’aise avec l’étrange, au point de justifier l’un des arguments marketing de la quatrième de couverture : il y a un peu de Lynch dans ces pages.
Une prise de risque récompensée d’une réussite
Le Coma des Mortels va tour à tour vous amuser (on rigole beaucoup, mais vraiment, avec du son et tout), vous exciter via des passages érotiques parfois bien poussés, et aussi vous inquiéter. Et pas qu’un peu. Car l’autre grosse impression que laisse ce roman est ce soupçon qu’il fait naître avec brio dans un coin de la tête du lecteur. Ce doute, tout d’abord léger, s’alourdit de plus en plus sans pour autant qu’aucune certitude ne soit réellement à portée. On a une petite idée, qui trotte, encore et encore, et c’est là une réussite du Coma des Mortels : réussir à faire intervenir l’avis du lecteur avec une finesse qui n’est pourtant pas celle de l’ambiance de l’ouvrage, parfois volontairement grotesque. Qu’on se le dise, Maxime Chattam prouve encore une fois tout son talent pour incorporer l’anagnoste de l’église Polar à son récit : il joue avec nos nerfs, nos ressentis, et sait titiller ce qui doit l’être.
Le Coma des Mortels est un roman à chérir. Pas seulement pour ses qualités intrinsèques, mais aussi pour le courage qu’il a fallu à Maxime Chattam afin de sortir des sentiers qu’il a lui-même battu. Une prise de risque payante, qui n’accouche certes pas du meilleur de son auteur, mais qui a l’imposant mérite de proposer du neuf dans un univers balisé. Alors certes, la fin (enfin, le début) est un peu convenue, ou plutôt elle ne provoque pas l’instant le plus fort du Coma des Mortels, mais juger ce dernier sur cet élément n’aurait absolument aucun sens tant sa forme demande au lecteur un véritable travail de reconstitution, voire même de réponse à certaines questions posées par l’écrivain. Le récit se doit ainsi d’être jugé sur son ensemble, son tout, sinon rien n’a de sens. Une structure atypique, qui accouche d’un livre qui l’est tout autant dans la carrière d’un Maxime Chattam à qui l’on souhaite de prendre son pied de la sorte le plus souvent possible, tant l’exercice de style ici réussi est communicatif.
Le Coma des Mortels, un roman de Maxime Chattam. Aux éditions Albin Michel, 400 pages, 21.90 euros. Parution le 1er juin 2016.