Caractéristiques
- Titre : Miss Pérégrine et les enfants particuliers, T 1
- Auteur : Ransom Riggs
- Editeur : Bayard Jeunesse
- Date de sortie en librairies : 21 septembre 2016
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 446
- Prix : 15,90€
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- Note : 7/10 par 1 critique
Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître : Miss Pérégrine et les enfants particuliers était le tout premier roman de Ransom Riggs lorsque le tome 1 parut aux États-Unis en 2011. Au départ, le jeune auteur américain avait proposé à son éditeur de concevoir un livre de photographie basé sur de vieux clichés étranges du XIXe siècle dénichés dans des vide-greniers. Celui-ci lui suggéra alors de s’appuyer sur ces photos pour imaginer une histoire, ce qu’il fit. Le livre restera 70 semaines dans la liste des Best Sellers du New York Times dans la catégorie des Œuvres jeunesse.
Un conte gothique mêlant fantasy et Histoire
Mélange de roman historique et de conte gothique mêlé de fantasy, le tout sous la forme d’une série de livres pour adolescents et jeunes adultes, l’oeuvre de Ransom Riggs est un récit mélancolique sur l’enfance, le sentiment de solitude qui peut s’y rattacher, les blessures de l’Histoire comme de son histoire personnelle et familiale, et le passage inexorable du temps. On y croise des enfants et adolescents « différents », et il y est aussi question de folie, d’aliénation, et de la découverte d’un monde aussi enchanteur qu’effrayant. Bref, le roman mêle de nombreuses influences, allant d’Alice au pays des merveilles à Peter Pan, en passant par A la croisée des mondes, Edgar Allan Poe ou encoreTim Burton.
C’est d’ailleurs ce dernier qui a réalisé l’adaptation de ce premier tome, qui sortira sur nos écrans le 5 octobre prochain et dont nous vous proposions la critique cette semaine. Cette actualité cinématographique est également à l’origine de la réédition du premier volet de cette série de romans par Bayard Jeunesse, qui proposera également, jusqu’à fin octobre, plusieurs publications autour de l’univers de Miss Pérégrine et les enfants particuliers. Les lecteurs auront donc l’occasion de découvrir le roman présenté dans une belle édition à couverture souple mais épaisse, recouverte d’une jaquette aux couleurs du film et comportant, en supplément, un cahier couleur de 8 pages en fin d’ouvrage avec des photos de celui-ci. Le reste du livre, y compris sa mise en page, reste inchangé par rapport à l’édition publiée en 2012.
Un récit clairement métaphorique
Mais penchons-nous plus en détail sur ce premier livre particulièrement efficace. Jacob Portman est un adolescent issu d’une richissime famille qui ne se sent pas à sa place et s’ennuie à mourir dans une vie bien trop banale à son goût. Jusqu’au jour où son grand-père adoré, en apparence atteint de démence, meurt suite à d’atroces blessures au ventre qui semblent être l’oeuvre d’une bête sauvage. Jacob, qui s’est précipité chez lui, recueille son dernier souffle, des paroles énigmatiques au sujet des histoires qu’il lui racontait sur sa jeunesse, et qui, selon lui, étaient réelles : caché au sein d’un orphelinat pour « enfants particuliers » sur une île du Pays de Galle pendant la Seconde Guerre Mondiale afin d’échapper à « des monstres », il aurait côtoyé des jeunes gens aux pouvoirs extraordinaires, considérés comme des monstres de foire par leurs proches et eux aussi traqués. Son grand-père l’exhorte à retrouver l’orphelinat en lui laissant des indices tandis que Jacob aperçoit un monstre terrifiant dans l’obscurité. Encouragé par son psychologue pour qu’il puisse affronter la réalité et se débarrasser de son syndrome de stress post-traumatique, le jeune homme fait le voyage avec son père et se laissera happer par un monde inconnu qui bouleversera l’image qu’il a de lui-même…
Comme cela est clairement perceptible à la lecture de ce résumé, Miss Pérégrine et les enfants particuliers présente une métaphore sans équivoque de la traque des Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale. Cette interprétation est d’ailleurs livrée dès les 10 premières pages par Monsieur Portman, qui pense que son père est resté traumatisé par la guerre (on apprendra que sa famille fut déportée) et voyait les nazis comme des monstres à sa poursuite lorsqu’il était enfant. La « particularité » des enfants de l’orphelinat dirigé par la mystérieuse Miss Pérégrine serait donc d’être Juifs. Cette clé, assez évidente, même sans être un expert en paraboles, est livrée en préambule afin de pouvoir la dépasser et plonger de plein pied dans l’univers merveilleux et effrayant à la fois de l’orphelinat, isolé dans une boucle temporelle.
Une évocation mélancolique de l’enfance
Car le roman repose avant tout sur son intrigue fantastique, bien que cette mise en abyme de la Seconde Guerre Mondiale, présente en filigrane d’un bout à l’autre, soit intéressante. On relèvera d’ailleurs que la traque des nazis ayant fuit à la fin de la guerre est elle aussi présente à travers l’histoire de Abe, le grand-père de Jacob, et que l’explication des origines des Creux, ces monstres poursuivant les enfants particuliers, n’est pas sans rappeler l’imaginaire aryen. Cependant, Ransom Riggs ne prétend pas donner de leçon d’Histoire à travers son oeuvre, qui se veut avant tout touchante et divertissante, avec une atmosphère mystérieuse et parfois angoissante à la belle force d’évocation. La noirceur qui se dégage souvent du livre, et que Tim Burton a étrangement édulcorée, n’en rend le personnage de Jacob que plus attachant, car le lecteur peut s’identifier à ses doutes et ses questionnements, qui entrent en résonance avec des pensées et sentiments que tout le monde a pu éprouver un jour, même de manière diffuse. La manière qu’a l’auteur de capter le sentiment d’étrangeté que l’on peut ressentir adolescent, le désir mêlé de « sortir du moule » tout en s’intégrant, est suffisamment subtile pour ne pas donner l’impression d’avoir été rabâchée maintes fois dans de nombreuses œuvres, que ce soit dans la littérature, le cinéma, la télé, etc.
Il y a également une certaine beauté dans cette évocation de l’enfance, où des ados et pré-ados restent figés durant des décennies dans une boucle temporelle, les empêchant ainsi de grandir. Contrairement à Claudia, la petite-fille vampire du roman d’Ann Rice, Entretien avec un vampire, ce ne sont pas de « vieilles âmes » pour autant : ils conservent la maturité propre à leur âge, malgré une mélancolie latente. Ils ont bien entendu quelque chose des garçons perdus de Peter Pan, et Ransom Riggs joue de ce parallèle. Les « particuliers » tiennent à la permanence des choses, quitte à refuser d’affronter la mort de l’un d’entre eux, par exemple. Leur insistance pour que Jacob reste avec eux, malgré ce que cela impliquerait pour l’adolescent, renvoie également au chef d’oeuvre de James L. Barrie. Mais l’auteur ne se borne pas à simplement réécrire cette histoire d’enfants refusant de grandir, il montre également le revers de la situation de ces enfants piégés hors du temps : la mélancolie d’être coincé dans leur âge et leur époque, alors qu’ils ont conscience que le monde a changé au fil des décennies. Le motif, récurrent dans la littérature fantastique et SF, qui confronte deux personnages appartenant à deux époques ou deux réalités différentes, souvent au sein d’une intrigue amoureuse, est utilisé pour renforcer ce sentiment doux-amer. Les enfants particuliers voudraient eux aussi voir le monde des années 2010 dont Jacob leur parle, mais ils n’auront jamais l’occasion de grandir, ne pourront jamais sortir de cette journée sans fin. Ce déchirement est particulièrement bien rendu par Ransom Riggs et fait de Miss Pérégrine et les enfants particuliers un roman touchant, au-delà de la simple dimension divertissante et merveilleuse de l’oeuvre jeunesse possédant tous les attributs des sagas fantasy.
La dimension victorienne est quant à elle probante, sans être nécessairement développée plus que de raison. Elle s’appuie en premier lieu sur ces belles et intrigantes photos en noir et blanc que l’auteur a trouvées au sein de différentes collections privées de clichés dénichés dans des vide-greniers, qui ponctuent le récit au fil des pages, et contribuent à son atmosphère mystérieuse, au même titre que les décors décrits, les personnages des enfants particuliers et de Miss Pérégrine, ou encore certains passages macabres. Ransom Riggs accompagne ces clichés de lettres et dessins réalisés spécialement pour l’histoire, permettant aux adolescents de rentrer d’autant plus facilement dans l’intrigue.
Un premier roman efficace et intrigant
Après une première partie dans le présent, où Jacob tente de trouver un sens à la mort de son grand-père, puis commence ses recherches sur l’île, le lecteur fera ensuite la connaissance de Miss Pérégrine Faucon et des enfants particuliers, avant d’assister à un affrontement qui débouchera sur des événements qui seront développés dans les tomes 2 et 3. Une structure en trois actes classique, donc, mais efficace, qui nous immerge progressivement dans cet univers fantastique. Si l’écriture de Ransom Riggs ne possède pas la finesse, dans le style aussi bien que dans le propos, d’une J.K. Rowling ou d’un Philip Pullman (A la croisée des mondes), elle n’en demeure pas moins agréable à lire. L’auteur américain parvient à instaurer une véritable ambiance et à créer des personnages attachants sans jamais être lisses, ce qui comble largement des dialogues parfois un peu plats. Si les contours de cet univers restent un peu flous dans la seconde partie, alors qu’un certain nombre d’éléments plus complexes sont mis en place dans l’intrigue au sujet de la boucle temporelle, on sent que ces points seront développés par la suite et cela ne gâche aucunement le plaisir pris à la lecture.
Ce tome 1 de Miss Pérégrine et les enfants particuliers est donc une jolie réussite dans l’univers parfois un peu formaté des séries fantasy pour la jeunesse. Sans atteindre la densité et la subtilité d’A la croisée des mondes, avec lequel on pourra faire certains parallèles, Ransom Riggs propose là une histoire convaincante et attachante, mêlant le gothique au merveilleux au sein d’un mélange équilibré. Les influences de l’auteur américain sont nombreuses, mais celui-ci ne donne jamais l’impression de simplement recycler des thèmes et motifs rendus célèbres par d’autres. On sent une véritable sensibilité à l’oeuvre ici, et si le style de Riggs a encore besoin de s’affiner et s’affirmer (après tout, il s’agit de son premier roman), ce premier volet laisse augurer de belles choses pour la suite de la série.