Los Angeles, 1953
Écrit et conçu par James Ellroy en compagnie de Glynn Martin, officier du LAPD à la retraite, et de nombreux bénévoles, certains historiens, d’autres travaillant au sein du Musée de la Police de Los Angeles, LAPD’53 regroupe des photos d’archives du célèbre département de police californien prises en 1953, principalement sur des scènes de crime.
Les années 50 sont bien évidemment synonymes de film noir, sous-genre du cinéma américain qui a acquis ses lettres de noblesse dans les années 40 et a aussi, dans une certaine mesure, inspiré le pape du polar qu’est James Ellroy. Mais 1953 n’a pas été retenue par hasard pour ce livre : il s’agit en effet d’une année charnière pour la Police de Los Angeles. William H. Parker, qui a pris ses fonctions en 1950, est alors le chef de police du LAPD, qu’il a pour mission de « réformer » en quelque sorte, alors que de nombreuses affaires de corruption au sein de ses officiers sont de notoriété publique. Lorsque arrive 1953, il vient tout juste d’essuyer un énorme scandale qui s’est abattu sur la police et a obtenu un important retentissement médiatique : huit officiers ont été inculpés après avoir commis des violences sur des prisonniers, soupçonnés d’après la rumeur d’avoir grièvement blessé l’un des leurs. En consultant les archives, Ellroy et ses collaborateurs se rendront également compte que cette année avait vu passer une multitude d’affaires, certaines exceptionnelles.
Les photos sélectionnées rendent compte de cette année particulière et de la diversité des cas traités par LAPD, allant du suicide à l’homicide, en passant par la mort accidentelle, règlement de compte, braquage, etc. Des photos en noir et blanc brutes, mais dont se dégage néanmoins une certaine aura : les clichés sont bien cadrés et, en les regardant, on se prend à se demander si ce sont les gangsters qui se sont inspirés des films noirs ou bien les films noirs qui se sont inspirés des archives de la police. La réalité dépasse souvent la fiction et le fait est que tout dans ces photos transpire le réel, quitte parfois à nous faire grimacer devant la photo d’un suicidé, étalé au sol le crâne éclaté après s’être tiré une balle au moyen d’un revolver.
Un goût de roman noir
Bien entendu, ces clichés s’accompagnent de commentaires et textes personnels très travaillés de James Ellroy, qui cultive son personnage de vieux de la veille réactionnaire à la perfection. Commentaires qui ne sont pas tous à prendre pour argent comptant puisque l’auteur américain a, en réalité, déjà pris position contre la peine de mort et pour le contrôle du port d’armes. Cependant, difficile de penser que ses prises de position et la nostalgie qui transparaît à travers cet ouvrage sont toutes le fruit d’une simple mise en scène de sa personnalité publique. Grand défenseur du LAPD, qui a su le remettre dans le droit chemin lorsque, dans sa jeunesse, il commet quelques délits et purge même une peine de prison, l’écrivain dit regretter une période où, malgré ou peut-être en raison des dérives d’un système répressif, les gens « se tenaient mieux » et étaient, ajoute-t-il comme pour parfaire le mythe glamour de la ville immortalisé par Hollywood, « mieux habillés ».
Chaque photo ou presque est l’occasion pour l’auteur de raconter l’histoire tapie derrière : celle, réelle, présente dans les rapports du LAPD, mais également celle, fantasmée, que l’on peut imaginer en les regardant. James Ellroy revient en détail sur certaines affaires, les détaillant à la manière d’un narrateur de roman noir. Une phrase revient sans cesse : « Le salaire du péché, c’est la mort ! » Une devise qui pourrait illustrer la dimension morale des films noirs de l’époque classique, où gangsters et femmes fatales succombent le plus souvent pour leurs crimes. Il adopte alors un point de vue moraliste, pour ne pas dire réac’ lorsqu’il approuve la condamnation à la peine capitale dans certains cas, regrette la clémence des juges dans d’autres ou encore nie la dimension sociale des émeutes ayant éclaté en 1992 suite au passage à tabac de Rodney King par des officiers.
Lorsque fiction et réel se superposent
Cependant, ce partis pris très « vieille école », sujet à caution comme nous l’expliquions plus haut, n’est pas l’aspect le plus intéressant de LAPD’53. Ellroy connaît sur le bout des doigts l’histoire de la police de L.A. et son évolution, et la manière dont il en parle nous immerge véritablement dans cet univers. En dépit de sa nostalgie apparente, l’auteur sait également replacer les choses dans le contexte de l’époque, sans oublier d’établir des ponts avec le Los Angeles d’aujourd’hui, en soulignant par exemple la différence entre les critères de l’époque et ceux que nous avons aujourd’hui pour évaluer la situation de la ville.
LAPD’53 est un donc un livre bien atypique : ouvrage de photographies d’époque tirées des archives de la police de Los Angeles, il ne s’agit cependant pas que d’un album, mais aussi du récit, documenté, factuel et romancé à la fois sur le LAPD sous l’ère de William H. Parker, figure devenue légendaire pour avoir réussi à redresser un service miné par la corruption. Les textes de James Ellroy viennent apporter un contexte à ces clichés saisissants, parfois choquants, mais pas seulement : ils débordent du cadre, injectent une dose de fantasme et de fiction à ces documents, instaurant une ambiance de roman noir, révélant la nature hautement romanesque et cinématographique de Los Angeles, ville-lumière où le glamour côtoie en permanence le sordide. Films et romans noirs se superposent à notre regard dans cette ville que l’auteur du Dahlia Noir et de L.A. Confidential aime et respire depuis son enfance. Sa passion se ressent à chaque page et nous entraîne dans un monde interlope où s’échouent paumés et criminels attirés par les lumières de la Cité des Anges, qui ont ici les mains bien sales.
LAPD’53 de James Ellroy et Glynn Martin, Fantask Editions, sortie le 16 septembre 2016, 210 pages. 25€