Caractéristiques
- Auteur : Régis Loisel
- Editeur : Glénat
- Collection : Glénat Disney
- Date de sortie en librairies : 19 novembre 2016
- Format numérique disponible : Non
- Nombre de pages : 80
- Prix : 19€
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- Note : 8/10 par 1 critique
Après La jeunesse de Mickey de Tébo, qui revisitait l’univers de la souris aux grandes oreilles avec humour et impertinence, c’est au tour de Régis Loisel de s’approprier celui qui incarne depuis près de 90 ans le héros américain par excellence.
Mickey et Horace face à la Grande Dépression
L’artiste, qui signe à la fois le texte et les dessins pour la première fois depuis la fin de Peter Pan, se tourne lui aussi vers le passé et plonge Mickey, Minnie, Horace, Dingo, Donald, Clarabelle et Pluto dans l’Amérique de la Grande Dépression. Un contexte social très marqué donc, pleinement cohérent avec l’image de Mickey, petite souris héroïque certes, mais souvent présentée par Walt Disney — qui s’était notamment inspiré de Charlie Chaplin — comme le modèle de l’Américain moyen, ce que rappelait très justement Clément Safra dans son récent essai La face cachée de Mickey Mouse. Et l’Américain moyen, en ce début des années 30 marqué par une crise économique sans précédent, cherchait du travail sans relâche, quitte à accepter des tâches ingrates et sous-payées.
Café Zombo s’ouvre donc sur le rituel quotidien de Mickey et Horace, qui se rendent comme chaque matin sur un chantier tout proche pour essayer de se faire embaucher, et sont impitoyablement recalés par un Pat Hibulaire qui a quelque chose en tête. Lorsque les deux amis sont menacés d’expulsion et qu’ils voient les ouvriers se transformer en zombies fous de café, ils décident de mener l’enquête…
Comme on peut le voir dans ce court pitch, la métaphore café-travail-esclavage est évidente et, tout en conservant en apparence la naïveté de l’univers Disney, Régis Loisel en profite pour se faire plaisir avec une critique sociale bien sentie, qui n’est pas uniquement celle de l’Amérique des années 30, mais aussi celle de notre époque contemporaine, faite de chômage, récession et recul de certains acquis. Ces échos sont disséminés de manière à interpeller le lecteur, donnant à la BD de Loisel — le plus politique des 4 albums de la collection francophone de Glénat consacrée à Mickey — une dimension grinçante assez jouissive.
Entre impertinence et critique sociale
L’auteur joue également avec les codes établis par Disney et les personnalités respectives de Mickey et ses amis, n’hésitant pas à faire preuve d’une certaine impertinence, notamment en ce qui concerne Minnie et Clarabelle, qui en font voir de toutes les couleurs aux hommes, en les forçant à effectuer des tâches ménagères pendant qu’elles se prélassent dans le jardin ! « Allons, allons Dingo ! Fais pas l’enfant ! Regarde, je travaille comme toi et est-ce que je me plains ? », assène ainsi une Minnie autoritaire au grand chien exténué. Deux pages plus tard, lorsque leurs compagnons leur révèlent comment les ouvriers sont réduits en esclavage, elles s’exclament : « Ooh les pauvres ! Et personne pour leur préparer leur lunch ! C’est là qu’on voit l’importance des femmes ». Un humour très second degré — ces dames sauveront la mise à ces messieurs, et pas forcément grâce à leurs prouesses aux fourneaux — et quelque peu corrosif pour une bande-dessinée Disney, surtout à notre époque, où ce type de blagues a tendance à être pris au pied de la lettre.
Loisel s’amuse du côté très traditionnel du Mickey de cette époque (Mickey le héros travailleur et rusé, Minnie la coquette au caractère bien trempé…), évoque sur un ton humoristique une Amérique prolétaire accro au café et aux hamburgers douteux, esclave d’un système qui broie les plus faibles pour mieux s’engraisser. Mickey, la brave petite souris rebelle, cherchera à mettre des bâtons dans les roues au projet de construction de terrain de golf de l’irrécupérable Pat Hibulaire, et à libérer ses frères d’infortune. En cela, il s’inspire bien évidemment du Mickey Mouse des débuts, bien moins consensuel que ce qu’il est devenu à partir des années 50, à mesure que son succès le transformait en icône intouchable. Il y a de la baston dans Café Zombo, la petite souris, et même sa fiancé Minnie, n’hésitant pas à employer les grands moyens pour se défendre et contrecarrer les plans des puissants. On retrouve avec plaisir les personnages dans des situations drôles, parfois burlesques, au sein de cette bande-dessinée où critique sociale et divertissement font très bon ménage.
Un hommage aux strips des années 30 très inspiré
Il faut également, bien entendu, saluer le travail visuel effectué par Régis Loisel, d’une grande richesse. En optant pour un format à l’italienne, où chaque page est composé de deux strips, le dessinateur rend ici hommage aux années 30 et aux comic strips, ces petites bandes publiées dans la presse et qui ont joué un rôle précurseur dans la bande-dessinée telle que nous la connaissons. Visuellement, il s’agit aussi d’un hommage assumé au travail de Floyd Gottfredson, auteur-illustrateur des premières bandes-dessinées Mickey dès les années 30. L’apparence des différents personnages, et plus particulièrement celle de Mickey et Minnie, s’inspire grandement du trait de Gottfredson à cette époque, avant que les petites souris ne gagnent progressivement en rondeur.
Avec ses traits plus marqués, tenant davantage du burlesque (ce qui était aussi le cas du Mickey de Nicolas Keramidas et Lewis Trondheim dans Mickey’s Craziest Adventures), le Mickey de Loisel est moins convenu, et surtout plus dynamique, ce qui sied particulièrement bien au style du dessinateur, dont les cases sont remplies d’action, avec un découpage jouant beaucoup sur le mouvement. Les décors fourmillent quant à eux de détails, de sorte que chaque planche réserve son lot de surprises. Ce parti pris rompt avec l’épure de Gottfredson et revendiquée par Walt Disney, mais le résultat, très beau, est également cohérent avec l’univers dépeint. Il y a un petit côté western dans cette Amérique rongée par la pauvreté, où règne la loi du plus fort. Les rues de la ville, laissées à l’abandon, sont jonchées de débris, mais Minnie étend toujours son linge dans sa jupe à pois, Donald lutte toujours contre divers engins (ici, un bateau)… L’univers de Mickey et ses amis est donc respecté, même si l’album de Loisel a pour cadre des décors défavorisés généralement absents des courts-métrages et bandes-dessinées Disney.
Une vraie compréhension du personnage et du patrimoine Disney
Café Zombo est donc une nouvelle réussite pour cette collection initiée par Glénat et proposant à des auteurs et illustrateurs francophones de revisiter le patrimoine de Walt Disney à travers son personnage le plus emblématique. Car, si Régis Loisel, tout comme Keramidas et Trondheim, Cosey ou Tebo, se réapproprie l’univers de la souris aux grandes oreilles à sa manière, il est bien question de patrimoine ici puisque tous se sont penchés sur le passé de Mickey, et très souvent ses débuts, en insérant de nombreuses références, qu’elles soient visuelles ou narratives, pour poser un regard sur son influence sur le genre, le tout avec une certaine tendresse.
Loisel a révélé qu’il avait toujours rêvé de faire une BD Mickey, et le plaisir qu’il a pris à réaliser cet album se sent à chaque page. Même si l’humour instaure une certaine distance par rapport aux codes Disney, il ne se moque jamais de son sujet, et sa connaissance, sa compréhension profonde du personnage, qui n’a pas toujours été l’icône du politiquement correct que l’on retient souvent, fait de Café Zombo une bande-dessinée indispensable pour tout admirateur de la souris aux grandes oreilles.