Motorô Mase signe une nouvelle série à ne surtout pas rater
Demokratia, le genre de projet qui ne pouvait que créer un engouement certain. Tout d’abord, on retrouve aux commandes de cette série (en cinq volumes) Motorô Mase, mangaka hyper talentueux dont on ne peut que vous recommander, en marge de cet article, de vous ruer sur le déjà culte Ikigami. Ce roi du thriller sociétal, dont les concepts à la fois vicieux et intimement humains semblent devoir nous accompagner bien après la lecture, est donc de retour avec un récit que l’on espérait au moins aussi accrocheur. Est-ce le cas ?
Le manga s’intéresse à un concept vertigineux. En effet, Taku Maezawa, élève en ingénierie et Hisashi Iguma, spécialiste en robotique, ont mis sur pied Demokratia. Il s’agit d’un programme regroupant 3000 personnes, lesquelles sont enrôlées sur Internet, qui auront en charge les agissements de Maï, un robot à l’apparence féminine. Les décisions seront prises démocratiquement : un vote est organisé pour chacun des faits et gestes de l’automate. Bien vite, l’expérience va faire ressortir que la démocratie n’est pas toujours l’expression du bon sens…
Après une mise en place très patiente, avec laquelle l’auteur Motorô Mase s’amuse à instaurer une ambiance techno-thriller à la fois inquiétante et pointue, Demokratia révèle l’entièreté du potentiel de son concept : démontrer, via un raisonnement par l’absurde, les limites de nos sociétés démocratiques. Un thème pour le moins dangereux, tant l’équilibre idéologique ne doit pas en souffrir : il convient de ne pas tomber dans un manifeste pro-ceci, anti-cela, ni même de céder aux sirènes de l’extrémisme (fascisme ou, à l’opposé, anarchisme). C’est exactement ici que Motorô Mase réussit un coup de maître, car on ne le sent jamais en position de donneur de leçons.
Démocratie n’est pas obligatoirement raison
Demokratia reste un récit, et celui-ci regorge de moments-clés qui renouvellent l’intérêt avec aisance. Mis à part le tome 3, lequel se concentre sur les utilisateurs du programme qui donne son titre au manga, il se passe toujours quelques chose, Motorô Mase n’hésitant pas à invoquer des sujets de fond (le tome 4 est renversant à ce propos) afin de développer une certaine tonalité philosophique (d’où l’absence de réel placement de l’auteur). Il démontre à quel point la collaboration, au sein d’un projet commun, est à la fois utile et vouée à une forme d’échec humaniste. Évidemment, plus on avance dans le récit, plus le lecteur sent le malaise grandir tant Demokratia est à la fois une véritable critique sociétale et un avertissement sur l’évolution de l’humanité.
Demokratia n’est certes pas dénué de petits soucis de rythme, et on ne peut s’empêcher de penser que le fin s’enclenche un peu rapidement. Mais les sujets brassés sont tellement passionnants, se rapportant aussi bien au quotidien qu’a une certaine vision d’un avenir possible (les réseaux sociaux, attention danger !), que l’on ne peut qu’adhérer au traitement de Motorô Mase. On ne peut pas oublier d’aborder les dessins, avec cette approche réaliste (notamment dans les décors) dans laquelle le mangaka plonge le fantastique de son récit. On apprécie la représentation qui est faite de l’anonymat, cette absence de visage signifie beaucoup de chose. Demokratia est résolument l’œuvre de l’un des mangakas les plus brillants de son temps…
Demokratia, un manga écrit et illustré par Motorô Mase. Traduction par Sébastien Ludmann. Aux éditions Kazé, collection Seinen, 1022 pages, 41.45 euros. Sortie le 16 novembre 2016.