Un tome 2 qui place la barre encore plus haut
Après un premier tome très inspiré, la série The Wicked + the Divine est de retour aux éditions Glénat pour un deuxième volume allant plus loin dans la forme et portant l’histoire à son point d’incandescence… A tel point que continuer la série sur cette lancée, en prenant en compte les bouleversements majeurs introduits ici et sans faire appel à trop d’artifices, constituera un véritable défi, qui confirmera ou non le potentiel du comics.
Après le coup de théâtre à la fin du tome 1, nous retrouvons donc la narratrice, Laura, en pleine déprime, quelques semaines plus tard, alors qu’elle tente de se remettre de ce traumatisme, tout en continuant à se demander si les pouvoirs qu’elle a cru déceler en elle sont bel et bien réels et si elle pourrait se révéler être la douzième divinité du Panthéon, attendant d’être révélée par la mystérieuse et ambigüe Ananké, qui veille sur ce groupe de dieux et déesses surpuissants et vulnérables à la fois, comme le sont toutes les rock stars.
Et si la déesse de l’amour avait le visage de Prince ?
Alors que le premier tome présentait les différents personnages à la manière d’un Cluedo psychédélique (la question était, alors, de savoir qui avait pu piéger Lucifer et la faire passer pour une meurtrière) tout en développant la relation Luci-Laura, le tome 2 est principalement centré autour de Laura, Inanna et Cassandra, tandis que Woden et Baphomet tiennent un rôle important, mais néanmoins plus secondaire. Amaterasu et Sakhmet sont quant à elles quasi-absentes, ne faisant que de discrètes apparitions. Inanna est ainsi la divinité majeure du Panthéon dont l’importance se révèle primordiale d’un bout à l’autre de ce volume, que ce soit par sa relation avec Laura, avec laquelle il décide de mener son enquête sur l’assassinat de Luci, mais aussi par la tonalité qu’il apporte.
Il est bon de préciser à ce sujet que dans la mythologie sumérienne, Inanna est la déesse du Ciel, mais aussi de l’amour, la fertilité, du désir sexuel ou encore de la guerre. Si ce dernier aspect n’est pas exploré par Kieron Gillen à ce point de l’intrigue, tous les autres sont bel et bien présents puisque Inanna, changé pour l’occasion en homme sexuellement ambigu (qui n’hésite pas à dire qu’il est « la reine des cieux, étoile du soir et astre du matin »), est montré comme une divinité de l’amour d’une grande sensualité. Il est par ailleurs presque entièrement calqué sur Prince (qui n’était pas encore décédé au moment de la publication des numéros de ce volume aux États-Unis), tant par son apparence physique, son look que l’image et le feeling qu’il dégage. Sa manière d’apparaître et de disparaître dans une pluie d’étoiles violettes est un clin d’oeil assez évident à son tube « Purple Rain » et à son statut d’icône 80’s.
Notons également que l’expression du désir sexuel dans la pop music est mise en avant par des fêtes dyonisiaques débridées, ce qui est l’occasion pour le dessinateur Jamie McKelvie de pousser la forme dans ses retranchements en laissant libre cours à un style psychédélique mais paradoxalement ordonné, coloré et un rien kitsch, avec un découpage destiné à produire une impression de rythme saccadé. Comme Laura a pris une sorte de drogue divine, il s’agit ici de reproduire l’effet d’une substance telle que la MDNA (la drogue la plus répandue dan les festivals) sur la perception de la personne qui en prend, tout en se servant de ce parti pris comme d’un artifice narratif pour dissimuler certaines informations au lecteur, dont on ignore si elles auront une importance pour la suite ou non.
Un développement cohérent pour une intrigue toujours aussi pop
Deux nouvelles divinités feront par ailleurs leur apparition durant ce volume, l’une étant plus ou moins attendue, et l’autre bien plus surprenante. Côté mythologie, on retrouve toujours quelques références un brin « intello » dans ce tome 2, comme le clin d’oeil au best-seller de Robert Graves, La déesse blanche, qui a beaucoup influencé la vision que nous avons de la mythologie celtique à travers la culture populaire. La parabole autour de la célébrité et la fascination qu’elle exerce sur la jeunesse, sur laquelle repose The Wicked + the Divine, continue bien entendu à être explorée. Suite au drame survenu à la fin du tome 1, Laura est ainsi devenue une petite célébrité en raison de son amitié avec les dieux et déesses et se retrouve même à signer des autographes, des fans hardcore sont suspectés d’être des assassins, et, dans une caricature de la rock star maudite assez jouissive, une artiste/déesse gothique « torturée » se lamente d’être adulée et applaudie par la foule… ce qui prouve que le public n’a rien compris du message qu’elle souhaite faire passer. Cet aspect est toujours assez bien géré, même si la métaphore rock star = divinité n’est pas vraiment une nouveauté, comme nous l’avions déjà relevé dans notre critique du tome 1. Dans ce second volume, l’accent est davantage mis sur l’humour de ce point de vue-là, ce qui se révèle être une bonne chose.
Quant au mystère principal, à savoir le complot qui a coûté la vie à un personnage et menace potentiellement les autres, il se trouve ici étoffé. Les raisons profondes sont encore assez floues, mais l’on sent clairement qu’il y a une motivation derrière tout ça et que Kieron Gillen ne navigue pas à vue. Un dialogue entre deux personnages en milieu d’ouvrage permettra d’ailleurs au lecteur d’élaborer une théorie, cohérente avec la thématique de la série, et dont la pertinence sera à vérifier dans les prochains volumes. Ce tome 2 s’achève par ailleurs de manière tout aussi forte, si ce n’est plus, que le premier, avec un cliffhanger qui promet de bouleverser de manière assez importante la suite de la série, même si une petite connaissance de la mythologie laisse deviner qu’au moins l’un des personnages n’a pas tiré définitivement sa révérence, bien au contraire. Il sera du coup intéressant de voir comment Gillen continuera à explorer la dimension mythologique de la série, qui est ici à cheval entre les mythes se rapportant aux différentes divinités et une création moderne, inspirée de la pop culture et des nouvelles technologies.
Un volume maîtrisé, assez audacieux dans la forme
The Wicked + the Divine tome 2 : Fandemonium confirme donc le potentiel de la série de Gillen et McKelvie et place la barre encore plus haut pour la suite. Si les lecteurs américains ont une avance considérable sur nous (le comics est actuellement en plein milieu de sa 5e saison), le suspense est à son comble lorsque nous refermons ce nouveau volume bien maîtrisé. Alors bien sûr, Kieron Gillen use de certains artifices narratifs, mais il le fait ici avec brio, et avance lentement mais sûrement ses pions pour faire avancer le récit. La réussite de la suite reposera donc entièrement sur sa capacité à continuer de dessiner un univers cohérent, sans céder à la facilité de multiplier les coups de théâtre pour le seul motif de faire acheter le prochain numéro au lecteur, à la manière d’un J.J. Abrams (période Alias) des comics. Pour l’instant, rien n’indique que ce sera le cas, nous pouvons donc être assez confiants quant à la suite.
On saluera également le travail de Jamie McKelvie au dessin et Matthew Wilson à la couleur. Moins follement onirique que le tome 1, plus froidement psychédélique dans son approche (ce qui est en cohérence avec l’intrigue), cette suite pourrait paraître de prime abord moins remarquable dans la forme, mais fait en réalité preuve d’une certaine audace et d’une vraie maîtrise. L’aspect clinique renforce d’ailleurs les fulgurances kitsch et les interventions du personnage d’Inanna, qui, en dieu de l’amour, vient apporter un peu de douceur à cette trame assez sombre. S’il n’avait pas été le clone de Prince, il aurait d’ailleurs pu reprendre à son compte l’un des hymnes du Summer of Love de 1968, susurré par Robert Plant de Led Zeppelin : « I’m gonna give you my love, whole lotta love »…
The Wicked + the Divine tome 2 : Fandemonium de Kieron Gillen et Jamie McKelvie, Glénat, sortie le 15 février 2017, 192 pages. 17,50€.