Pour ne plus se faire rengracier dans une guinguette
Décidément, l’argot a la dent dure ! Né dans les tréfonds de l’Histoire de France, du Moyen Âge plus précisément, cette méthode destinée à perdre le poulaga zélé sous des tonnes de termes parfois obscurs est, encore aujourd’hui, utilisé par les fins limiers. Sous des formes qui varient, l’argot a cela d’impressionnant qu’il est en perpétuel façonnage, ce dernier étant, de plus, du genre à prendre différentes aises selon les quartiers. L’ABC de l’argot sans se fader le dico, aux éditions du Chêne (Astérix : les citations latines expliquées, Tea Sommelier), se donne comme objectif de divertir avec une grande dose de ces termes certes saugrenus, mais bourrés de charme.
L’ABC de l’argot sans se fader le dico prend le concept d’un abécédaire (qui l’eut cru ?), mais l’adapte à une forme de beau livre. C’est ainsi que, dès la (jolie) couverture, on sent bien que le contenu ne sera pas conforme à ce qu’on peut attendre d’un banal (et tout de même de plus en plus utile) dictionnaire. Une lettre donne l’occasion à un terme d’être placé sous les projecteurs, par exemple « L comme Louchébem« , mais le principe ne s’arrête pas là. Bien entendu, la définition suit (ainsi qu’une citation, plus ou moins véridique, à chaque fois remarquablement sélectionnée), et celle-ci provoque un développement. Autour du mot vient, donc, s’en greffer d’autres du même sérail et, ainsi, c’est une véritable armée mexicaine de termes qui défile, et qu’on narre à nos propres esgourdes ébahies.
Un duo de gisquettes qui ont de l’idée
L’ABC de l’argot sans se fader le dico est une réussite multiple et partagée, qu’on se le dise. L’auteure, originaire de Ménilmuche et qui use ici du pseudonyme Marcelle Ratafia, injecte une bonne humeur charmante, un humour qui transpire de chaque page. Mais attention, il serait inexact de penser qu’on tient là un livre-trip, destiné aux rayons d’achats compulsifs. Non, l’ouvrage renferme un vrai savoir, et si l’auteure respecte évidemment à la lettre l’intention des marlous qui ont œuvré pour ce langage, on se régale de l’agencement de sa pensée, qu’elle renouvelle au fil des lettres abordées. En effet, L’ABC de l’argot sans se fader le dico est un ouvrage qui se graille avec entrain, trimardé jusque dans les moindres détails pour rendre l’expérience à la fois rigolarde et unique grâce à différentes animations savoureuses (et même quelques jeux).
L’ABC de l’argot sans se fader le dico est aussi gouleyant pour les mirettes, et ça c’est grâce à Lulu D’Ardis, l’illustratrice qui, elle aussi, donne dans le pseudo. Ses gonzes et gisquettes ont le trait saillant, la silhouette bien menaçante. Car n’oublions par que l’argot n’existe que par la figure du voyou, de l’apache à opinel, et ce dernier a de l’allure. Impeccable, le style donne à l’indispensable travail d’illustration la touche finale, le fin du fin, à un ensemble qui prouve que l’argot évolue, il ne clabote pas. Un beau livre pour s’enjailler donc, et signalons un soin tout particulier apporté par les éditions du Chêne à la finition.
L’ABC de l’argot sans se fader le dico, un beau livre écrit par Marcelle Ratafia, illustré par Lulu D’Ardis. Aux éditions du Chêne, 144 pages, 14.90 euros. Sortie le 18 janvier 2017.