Ancien du label Top Cow d’Image Comics, pour lequel il dessina la série Weapon Zero à partir de 1994, l’auteur-illustrateur mexicain Joe Benitez s’est lancé en indépendant à partir des années 2000, créant une première série, Wraithborn (2005-2007) initialement éditée chez DC Comics, avant de lancer en 2011 Lady Mechanika, condensé de steampunk aux influences clairement gothiques, aussi bien par son style visuel immédiatement reconnaissable que par son histoire. Alors que le tome 3 vient de sortir aux éditions Glénat, nous vous proposons de (re)plonger au début de la série…
Une narration efficace et une héroïne intrigante
L’histoire est celle de Lady Mechanika, héroïne humaine devenue en partie mécanique suite à de mystérieuses expériences scientifiques qui l’ont laissée avec des bras et jambes métalliques. Mascotte de la ville Mechanika (d’où son surnom), la jeune femme se comporte en puissante justicière, mais a tout oublié de son passé. Ignorant qui elle est ou qui est responsable de son état, elle mène l’enquête sur ses origines en compagnie du fidèle Lewis, remontant une piste qui la conduit jusqu’à une étrange créature en partie mécanique, tout comme elle, avec laquelle elle partage le même créateur et dont elle aurait été proche. Les choses ne vont cependant pas se dérouler comme prévu avec l’arrivée d’une ancienne amie devenue ennemie et l’apparition d’une autre jeune fille mécanique…
Le steampunk a la côte en bande-dessinée ces dernières années, comme le prouvent les nombreux titres, francophones ou américains, que l’on retrouve régulièrement sur les rayons des librairies. Nous vous parlions ainsi récemment du premier tome du comics Monstress, qui mêlait à cet univers SF une dimension dark fantasy importante, mais il est clair que le succès critique et public d’une série insubmersible telle que La ligue des gentlemen extraordinaires d’Alan Moore, lancée en 1999, n’est sans doute pas étranger à ce regain du genre. L’intrigue développée dans ce premier tome est simple, plus directe et moins complexe que d’autres oeuvres aux ramifications plus tortueuses, mais son créateur n’en a pas moins réussi à donner vie à une héroïne mémorable. La personnalité et le charme de Lady Mechanika provient en partie de sa narration épurée, qui va à l’essentiel et confère à son héroïne une personnalité de femme forte déterminée, peu prompte à s’épancher, mais chez laquelle on sent néanmoins poindre une certaine sensibilité. Cependant, l’attrait principal de la série, qui lui permet de se distinguer facilement d’autres oeuvres au style plus lisse, est sans conteste son graphisme à la personnalité très marquée.
Un univers steampunk classique, mais visuellement flamboyant
Les dessins de Joe Benitez sont explicitement gothiques (dans la conception plus moderne du terme), avec un trait vif et réaliste aux contours d’un noir d’encre ; de manière générale, la colorisation de Peter Steigerwald joue sur des teintes sombres, où le gris et le bleu sont très présents. On retrouve une imagerie steampunk relativement classique, mais plutôt inspirée dans sa représentation d’un Londres rétro-futuriste, au sein de laquelle brille la flamboyante héroïne du dessinateur, brune typée et sexy dont les costumes sont à la fois ceux d’une mercenaire et d’une lady. L’imagerie plus typiquement victorienne, à laquelle Benitez a bien entendu ajouté un soupçon de modernité, est également présente par le biais des artistes du cirque roumain, sans compter la deuxième jeune fille mécanique avec ses bras aux longs doigts de métal à travers laquelle le dessinateur rend un hommage évident à Tim Burton, le plus gothique des cinéastes, qui a donné un nouvel élan à cet imaginaire au début des années 90. Ajoutons également que deux planches, dans les toutes dernières pages du volume, pourront évoquer l’univers du jeu vidéo Bioshock Infinite par le style architectural et les couleurs plus lumineuses que l’on y trouve.
Lady Mechanika, c’est donc un univers hybride mais cohérent brassant l’imaginaire steampunk, dans lequel on trouve rapidement ses marques, de sorte que ce premier tome se lit d’une traite. Joe Benitez ménage suffisamment de rebondissements pour éviter le moindre temps mort, ce qui ne l’empêche pas de développer ses personnages, en posant de manière affirmée leur personnalité — qui laisse entrevoir plusieurs facettes —et les bases de leur background. Il en révèle suffisamment pour que Lady Mechanika et ses collègues ou ennemis ne paraissent pas opaques ou mal dégrossis, et joue tout autant sur la suggestion, de sorte que le lecteur ait envie de lire la suite pour en découvrir plus sur leur passé et leurs relations. Si l’on ajoute à cela une bonne dose d’humour et une fin ménageant le suspense de manière honnête (pas de cliffhanger putassier), on obtient un comics tout à fait plaisant, dont la suite devrait confirmer le potentiel.
Lady Mechanika tome 1 de Joe Benitez, couleurs par Peter Steigerwald, sortie le 1er juin 2016, 112 pages. 12,99€