Caractéristiques
- Auteur : Kieron Gillen (scénario), Jamie McKelvie (dessin), Matthew Wilson (coloriste)
- Editeur : Glénat
- Collection : Glénat Comics
- Date de sortie en librairies : 5 avril 2017
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 192 pages
- Prix : 17,50€
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 7/10 par 1 critique
Britpop et magie
Suite au succès de The Wicked + the Divine, dont la publication a commencé en octobre dernier en France (en 2014 en Angleterre), les éditions Glénat ont décidé d’éditer la première série du duo Kieron Gillen–Jamie McKelvie, Phonogram, inédite chez nous, présentée ici dans une version colorisée par Matthew Wilson, tandis que l’édition originale était en noir et blanc.
Publié de 2006 à 2016, Phonogram annonce par bien des aspects la série-phare des deux auteurs, aussi bien par les ingrédients de l’intrigue que le ton général. Assez difficile à résumer de prime abord, l’histoire mêle magie et musique rock dans un grand hommage au courant Britpop ayant déferlé sur le monde dans les années 90. Le personnage principal, David Kohl, est un critique rock aussi pointu que misogyne (du moins en apparence), cachant derrière un cynisme et un mépris de façade une passion intense, viscérale pour la musique, et de nombreux regrets, auxquels il s’efforce de ne pas penser. Il s’agit aussi d’un phonomancien, sorte de serviteur des divinités du rock, capable de réaliser des incantations magiques grâce à sa capacité à aimer et ressentir la musique. Menacé par une déesse qu’il a trahie par le passé, il se retrouve sous l’emprise d’un sort qui altère sa personnalité et ses goûts musicaux, en lui faisant aimer des groupes mièvres qu’il déteste. Pour se redevenir lui-même et venir en aide à la musique, il devra retrouver la trace du fantôme astral d’une ancienne amie qu’il a blessée en la rejetant, et qui est pourtant bel et bien vivante. Commence alors pour lui une étrange aventure…
Une ode au rock anglais cérébrale et touchante
Ex Britannia apparaît comme un premier tome intrigant, esquissant les contours d’un univers singulier, ultra-référencé, cérébral et onirique. Moins bien rôdé que la très efficace ouverture de The Wicked + the Divine, ce volume est aussi parfois un peu trop abstrait dans la présentation de son intrigue. Si le fait de se retrouver directement au coeur de l’histoire sans introduction didactique est plutôt une bonne chose en soi, le lecteur devra s’accrocher avant de réussir à saisir véritablement ce qu’est un phonomancien et, même à ce moment, le rapport de ces magiciens du rock aux divinités qu’ils servent demeure flou, ainsi que le but visé par ces dernières. Les phonomanciens vénèrent la musique au sens propre puisque celle-ci s’incarne dans différentes divinités (Britannia représente ainsi le rock anglais, qui passe par différentes transformations au fil de son évolution), et il existe différents types de phonomanciens : ceux qui, comme David, vivent plutôt avec leur temps, et ceux, accrochés à leurs disques rétro, qui voudraient vivre dans un éternel passé glorieux. Mais les conséquences que cela a dans le monde réel demeurent très floues, même en étant attentif. Il sera donc intéressant de voir comment la série évolue et développe sa mythologie.
Phonogram, tome 1 n’en demeure pas moins un premier opus intrigant et prenant. Le ton, singulier, est nettement plus cérébral que The Wicked + the Divine, plus « jeune » malgré sa dimension psychédélique, tandis que le dessin, où l’on reconnaît déjà le style affirmé de Jamie McKelvie, est plus sobre, plus sec, collant ainsi parfaitement à la personnalité de David Kohl, anti-héros aux remarques acerbes souvent drôles, qui finit par apparaître attachant à mesure qu’il révèle ses fêlures. Ex Britannia est en réalité une plongée dans son inconscient et sa mémoire musicale, et c’est là que l’oeuvre scénarisée par Kieron Gillen frappe juste : les différents moments de notre vie, positifs ou plus douloureux, sont souvent rattachés pour nous à certains morceaux, certains artistes, qui intègrent alors notre « tapisserie intime » en un sens. Entendre un morceau de manière inattendue peut alors faire ressurgir de nombreux souvenirs, et avec eux, un ressenti puissant, qui dépasse et transcende le simple titre. Cette manière dont la musique nous accompagne et nous forge apparaît comme le sujet véritable de Phonogram, qui happera alors facilement les mélomanes malgré la complexité et le relatif manque de clarté de l’intrigue. Une série à suivre donc, mais aussi à écouter, puisqu’un lexique en annexe permet de découvrir les différents groupes et morceaux cités, et de décrypter les très nombreuses références.