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[Critique] La disparition de Josef Mengele — Olivier Guez

Caractéristiques

  • Auteur : Olivier Guez
  • Editeur : Grasset
  • Date de sortie en librairies : 16 août 2017
  • Format numérique disponible : Oui
  • Nombre de pages : 240
  • Prix : 18,50€
  • Acheter : Cliquez ici
  • Note : 8/10

Lui, Moche et Méchant

Passionnant. C’est un fait : le nouveau roman d’Olivier Guez, La disparition de Josef Mengele, dévoilé au tout début de cette rentrée littéraire 2017, ne manque pas de qualités. Or, lorsque l’auteur décida de mettre en avant la vie indéniablement “gerbante” de ce médecin SS reconnu pour avoir été responsable de l’organisation de la sélection de millions de déportés afin de procéder sur eux à des expériences médicales abjectes, ce sentiment était loin d’être dessiné. Les personnages de salauds font vendre beaucoup de livres. Les personnages de salauds font déplacer de nombreux spectateurs. Les personnages de salauds intéressent souvent tout autant que les héros…

Olivier Guez le sait. Son protagoniste n’est pas charismatique. A peine 1m70, brun, silhouette sèche, une épaisse moustache cachant un trou entre les incisives… Comme la grande majorité des suppôts d’Hitler qui occupèrent les postes hiérarchiques les plus importants du Troisième Reich, lui aussi ne correspondait en rien au mythe de l’aryen dit “idéal”. C’est la vie de cet homme que l’écrivain français a souhaité raconter au sein de son second roman. L’auteur sait néanmoins que la mise en lumière d’un tel monstre nécessite une grande subtilité en raison du besoin qu’a un écrivain de “marier” son personnage principal à ses lecteurs. Le lecteur ne peut pas aimer Mengele. A défaut d’avoir envie de le comprendre, on nous propose de l’épier de terrier en terrier.

Pour arriver à capturer l’essence de sa sombre personne, Olivier Guez étudie avec une précision scientifique le bourreau d’Auschwitz. Il morcelle son physique, sa psychologie, son antisémitisme. Il ajoute avec parcimonie des pincées d’humanisme liées uniquement à sa vie privée (sa relation avec ses enfants notamment), nous permettant ainsi de prendre davantage de recul dans notre observation. Afin de solidifier ce rapport subtil identification/compréhension de Mengele, un travail dramaturgique et historique conséquent a eu lieu en amont de la rédaction. Si l’on en croit la lecture des cinq pages de sa partie “Sources et Bibliographie”, et comme ce fut déjà le cas sur certaines de ses œuvres précédentes qui avaient déjà pour toile de fond la Seconde Guerre Mondiale (son scénario Fritz Bauer et son essai L’Impossible Retour : Une histoire des Juifs en Allemagne depuis 1945), il semblerait que la recherche se soit transformée en véritable étude de cas pour l’auteur-journaliste.

L’Ombre et la Proie

Au sein des deux parties qui scindent son roman, Olivier Guez nous entraîne donc durant trois décennies sur les pas ensanglantés de Josef Mengele. En tant que lecteur, nous devenons même des témoins actifs de cette battue. Dès la première page, nous rencontrons de façon astucieuse le nazi à l’identité dissimulée. Cette “disparition” devenant ainsi pour le lecteur une apparition. Via cette rencontre bien amenée, l’auteur annonce la couleur : nous serons l’ombre, les yeux, les oreilles examinant les faits et gestes du médecin SS. Par le biais de l’ironie dramatique, nous possédons des coups d’avance sur ses nombreux poursuivants, sur l’Histoire.

Un des exemples les plus probants de ce début de première partie est le fait que nous savons déjà que Mengele prendra la fuite. Contrairement à la majorité des SS, il ne possédait pas son groupe sanguin tatoué à l’intérieur du bras ; il put ainsi passer entre les mailles du filet des pays alliés et quitter tranquillement le continent européen. Le roman fonctionne avec de nombreux flashbacks (parfois violents), en parfaite cohérence avec l’avancée du récit. La traque du criminel de guerre est aussi un moyen pour l’écrivain de valoriser les décors entourant son personnage. Chaque pays sud-américain visité par Mengele est ainsi décrit, entre autres, d’un point de vue géopolitique et culturel. A ce propos, le traitement de la vie ubuesque du couple de dictateurs argentins Evita et Juan Perón  valorise parfaitement ce constat. L’écrivain est un amoureux de l’Amérique du Sud et partage, sans prétention, ses innombrables connaissances tout en avançant sereinement dans le portrait de l’homme traqué.

La Mort aux Trousses

Olivier Guez excelle aussi à divertir, malgré le choix d’un tel protagoniste. Sa maîtrise du suspense sur la totalité du roman est brillante. Même si vous possédez déjà des connaissances sur la vie de Mengele, vous aurez de grandes chances d’être tout de même happé par son portrait grâce au rythme hitchcockien imposé par l’auteur. Que nous accompagnions le personnage dans sa fuite au cœur des rues bondées de Buenos Aires ou que nous le retrouvions, en pleine nuit, sur un bateau avec d’autres criminels nazis, pas le temps de bailler. Cette constante attention du lecteur s’explique aussi par une structure narrative parfaitement maîtrisée, que le romancier semble déployer sans efforts. D’ailleurs, par sa qualité d’écriture et l’abondance des recherches effectuées, on ne saurait distinguer les scènes fictives des passages inspirés d’épisodes réels. Fausses identités, trahison, rencontres improbables…

A ce propos, il faut également mentionner la parfaite caractérisation des nombreux ennemis de Mengele. Nazis repentis, agents du Mossad, population locale… L’ancien SS aura, pour notre plus grand plaisir, de nombreuses sueurs froides jusqu’à la fin de sa vie. Afin d’achever son roman sur une pointe d’optimisme, Olivier Guez met en avant dans son épilogue quelques actes effectués par la famille Mengele afin de redorer leur blason : changement de patronyme, excuses publiques envers le peuple juif pour les crimes perpétrés… Cette fin de lecture, tout aussi riche que les deux parties docu-fiction, provoquera peut-être chez vous aussi un silence. Josef Mengele aurait, au minimum, la responsabilité de 400 000 morts…

Que vous soyez des passionnés d’Histoire ou des aficionados des romans d’espionnage, La disparition de Josef Mengele devrait être pour vous source de satisfaction. Intelligent, bien écrit, humble, le roman d’Olivier Guez est captivant ! Ce retour poignant dans un passé pas si éloigné ne vous laissera en tout cas pas indifférent.

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