Caractéristiques
- Traducteur : Chantal Philippe
- Auteur : Edgar Hilsenrath
- Editeur : Le Tripode
- Date de sortie en librairies : 14 septembre 2017
- Format numérique disponible : Non
- Nombre de pages : 266
- Prix : 19€
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 8/10 par 1 critique
Quiconque s’intéresse à la littérature sur la Seconde Guerre Mondiale en Europe devrait avoir lu au moins un roman d’Edgar Hilsenrath. Auteur iconoclaste, peu publié en France, les éditions Le Tripode décident d’un peu changer la donne et proposent une réédition de son œuvre, à laquelle s’ajoute Les aventures de Ruben Jablonski. Publié en 1997 il a fallu attendre 2017 pour qu’il soit traduit en français. L’occasion de (re)découvrir son style impertinent et atypique.
De Sereth à New York
Ruben Jablonski est né en Allemagne de dans une famille juive allemano-roumaine. Alors qu’Hitler arrive au pouvoir, il part avec sa mère et son petit frère chez ses grands-parents maternels, en Roumanie. Très vite, le nazisme avance, et ils sont tous trois envoyés dans le ghetto de Mogilev-Podosk, en Ukraine. De là va commencer la lutte pour la survie, jusqu’à la salvatrice arrivée des troupes Russes. Jablonski retourne alors dans le village de ses grands-parents et, faisant face à la désolation qu’est devenu le lieu, décide de tenter sa chance en Palestine. Les périples sont longs et souvent dangereux, Ruben Jablonski va résister face aux difficultés, en majeure partie grâce à son envie dévorante d’écrire sur la Seconde Guerre Mondiale, et plus particulièrement sur le Ghetto. Il va devoir pour cela affronter de nombreuses épreuves, dont la plus difficile pour lui ne sera pas forcément celle que l’on croit.
Une vision originale
Lorsque l’on pense aux écrivains qui ont posé les témoignages de camps de concentration ou de ghettos sur le papier, on a en tête Primo Levi ou Wladyslaw Szpliman (auteur du très beau Le pianiste qui donna le film éponyme). Edgar Hilsenrath n’est pas du tout dans ce registre et il ne faut pas s’attendre à une description clinique au contraire : le ton est ici décalé, donnant une impression de légèreté en total contraste avec le sujet si difficile, abordé par Les aventures de Ruben Jablonski. Hilsenrath a, dès la fin de la guerre, le projet de ce roman et de la plupart de ceux qu’il a écrit ; il faudra pourtant des années de persévérance pour réussir à trouver des maisons d’édition prête à « prendre le risque » de publier un témoignage de la Seconde Guerre Mondiale où l’humour a toute sa place, de même que la dérision, le sexe et la satire.
Plus que jamais autobiographique
Les aventures de Ruben Jablonski est le dernier roman d’Edgar Hilsenrath et il intervient comme une synthèse, vient clôturer son œuvre. Paradoxalement, ce livre est fortement conseillé pour découvrir cet auteur au regard inédit sur la Shoah. Jablonski n’est autre qu’Hilsenrath, et ce roman est nul autre que son autobiographie. Les noms des protagonistes ont été modifié, pour des raisons évidentes, mais tout le reste est véridique (la fuite à Sereth, le ghetto de Mogilev-Podosk, le passage en Palestine, etc). Condensé de son histoire personnelle, Les aventures de Ruben Jablonski donne un aperçu du style littéraire sulfureux d’Edgar Hilsenrath, cette odyssée mêlant humanisme, débrouillardise et roublardise, différentes facettes que l’on retrouve dans chacun de ses romans.
La peur de la page blanche
Au-delà de l’aspect biographique, un autre sujet abordé par Les aventures de Ruben Jablonski est capital : l’envie d’écrire, et la peur viscérale de la page blanche. Tout au long de son périple, Ruben Jablonski se présente comme un écrivain (« comme Stephan Zweig ») bien qu’il n’arrive pas à écrire plus que quelques lignes, que chaque jour il efface. Il veut raconter son histoire, mais c’est bien plus que pour ne pas oublier, c’est aussi pour guérir à travers les mots. Et lorsqu’il se rend compte qu’il n’y arrive pas et qu’il ne peut pas commencer cette thérapie, c’est à ce moment qu’il tombe dans une sévère dépression. Jablonski a beau être hanté par ce très lourd passé, il sait d’instinct que l’écriture est ce qui le sauvera.
Cette période de vie racontée s’étale de 1933 à 1949. Ce qui peut paraître court pour une biographie, mais à y regarder de plus près ce choix est tout à fait pertinent. Résulte un récit incroyablement riche, et ce segment historique mérite d’être étoffé. Par chance, Edgar Hilsenrath a écrit d’autres romans correspondant à des moments de vie précis : Nuit (le ghetto), Le nazi et le barbier (l’émigration en Palestine), Fuck America (l’arrivée et l’adaptation aux États-Unis) dans lesquels on retrouve ce style qui lui est propre. Les aventures de Ruben Jablonski trouve tout naturellement sa place, au milieu de ces ouvrages importants.