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[Critique] Dark Net — Benjamin Percy

Caractéristiques

  • Traducteur : Paul Simon Bouffartigue
  • Auteur : Benjamin Percy
  • Editeur : Super 8 Éditions
  • Date de sortie en librairies : 7 septembre 2017
  • Format numérique disponible : Oui
  • Nombre de pages : 400
  • Prix : 21€
  • Acheter : Cliquez ici
  • Note : 4/10

Un roman fantastique sur le Web clandestin

Auréolé d’excellentes critiques pour ses romans Sous la bannière étoilée et Le canyon, Benjamin Percy est un écrivain américain s’intéressant tout particulièrement aux peurs de ses concitoyens à notre ère de nouvelles technologies et climat sécuritaire. Avec Dark Net, publié aux éditions Super 8 (Parmi les vivants, Il y a un robot dans le jardin, Version officielle…) il s’aventure dans la littérature fantastique et plonge au coeur de la partie la plus mystérieuse du Web : le dark net, soit des dizaines de milliers de sites non référencés par les moteurs de recherche, et auxquels on se connecte à travers un logiciel brouillant son adresse IP.

Quiconque s’aventure en ces eaux troubles n’est pas traçable, et il s’agit donc d’un outil de choix pour les lanceurs d’alerte qui peuvent ainsi communiquer avec leurs sources en tout anonymat, ou encore les militants vivant sous la dictature d’État. Cependant, pour la majeure partie, le dark net ressemble à un immense Far West sans foi ni loi où l’on peut acheter de la drogue et des armes aussi facilement que sur Amazon, recruter un tueur à gages ou encore organiser un réseau de pédophilie. Espace clandestin où la loi a du mal à s’infiltrer, il s’agit donc du lieu de tous les dangers, suscitant de nombreux fantasmes, puisqu’un épais mystère l’entoure.

Une intrigue peu inspirée

Il y avait donc là une très belle matière pour en tirer un roman, en mettant en scène les différents aspects de ce réseau et en cristallisant l’imaginaire qu’il suscite. Hélas ! Benjamin Percy a choisi d’opter pour une métaphore à la Moloch so 90’s — à tel point que l’on pense à plus d’une reprise à l’épisode de la saison 1 de Buffy, « Moloch », où Willow tombait amoureuse sans le savoir du démon en fréquentant un forum sur le Net — et assez facile. En effet, même si son héroïne est journaliste, il passe en grande partie à côté de la dimension lanceur d’alerte, qui s’accommodait pourtant très bien d’une enquête d’investigation, pour tomber les deux pieds dans le plat dans ce fantasme daté de la pop culture : il y a un démon dans Internet. Il le fait au sein d’une histoire oscillant sans cesse entre le conventionnel et l’acadabrantesque, en faisant de la nièce de l’héroïne, une adolescente de douze ans, l’élément faisant tout basculer. La mise en garde contre les dangers du numérique pour les digital natives est claire, mais elle n’est guère inspirée.

Le principal soucis, là encore, est que, hormis quelques passages montrant que l’auteur a potassé son sujet et expliquant le fonctionnement du dark net et (plus intéressant) le fonctionnement des serveurs dont nous dépendons, Benjamin Percy aurait tout à fait pu se passer de cette histoire de dark net pour tisser une métaphore très générale sur les dangers d’Internet tout court. Seule la fin permet de renouer avec une plus grande pertinence sur le sujet, toujours sous la forme de la métaphore de ce que l’on peut faire en bien avec le dark net. Les rebondissements et l’action priment, ce qui permet au lecteur d’aller jusqu’au bout du roman, qui se laisse tout à fait lire, mais on ne peut malgré tout s’empêcher de penser, de ce côté-là, que les ficelles sont un peu grosses. Un passage fait preuve de violence assez gratuite — la manière des démons d’opérer n’a que peu de liens avec le sujet principal là encore, et semble datée — les origines de l’entité maléfique et le pourquoi du comment sont assez incompréhensibles, tandis que la conclusion, malgré certaines qualités, fait malheureusement penser à Lucy de Luc Besson.

Rendez-vous manqué

Une dernière incohérence est à noter : Lela, l’héroïne, est censée avoir une petite trentaine d’années, or, elle sait à peine ce qu’est Google et comment effectuer une recherche dessus, ce qui n’est absolument pas crédible. Si l’on peut tout à fait avoir 30 ans aujourd’hui et privilégier livres et stylos, en évitant les réseaux sociaux, toute personne ayant grandi dans les années 90 a au moins connu Windows 95-97, et en connaît un minimum sur Internet. Lela n’a donc pas 30 ans, mais, dans les faits, davantage 45, soit à peu près l’âge de sa soeur dans le roman. Peut-être s’agissait-il là d’un desirata de l’éditeur américain pour attirer un lectorat plus jeune, mais cela nuit clairement à la crédibilité de l’ensemble.

Vous l’aurez compris, Dark Net est pour nous à ranger du côté des rendez-vous manqués. S’il demeure divertissant en raison du talent d’écriture de l’auteur, qui connaît son métier, il nous a semblé que Benjamin Percy était malheureusement passé à côté de son sujet, en livrant une oeuvre fantastique quelque peu datée, où le dark net n’est finalement que très secondaire. Dommage !

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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