Caractéristiques
- Auteur : Étienne Le Roux (scénario) & Vincent Froissard (dessin, couleurs)
- Editeur : Soleil Éditions
- Collection : Métamorphose
- Date de sortie en librairies : 25 octobre 2017
- Format numérique disponible : Non
- Nombre de pages : 84
- Prix : 16,95€
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- Note : 8/10 par 1 critique
Comment Sheherazade échappa à son triste sort
Les Contes des Mille et une nuits ont connu bien des adaptations, sur papier comme à l’écran, mais rares sont ceux qui ont su aller au-delà de cette oeuvre monumentale pour imaginer, de manière libre mais néanmoins fidèle à ces contes d’origine persane, le déroulement de la mille et unième nuit. Comment Sheherazade, conteuse hors pair, y survécut ? Dans les différentes traductions françaises disponibles, que ce soit celle d’Antoine Galland, Khawam ou Mardrus, cela est éludé assez vite, le sultan Shariar se contentant de lui dire qu’il la sait inépuisable en histoires et qu’il a appris à apprécier ses qualités et à l’aimer durant ces trois années, la graciant donc. La bande-dessinée d’Etienne Le Roux et Vincent Froissard publié dans la collection Métamorphose des éditions Soleil (Carmen, Buck ou la nuit des trolls, Les Fées de Cottingley…), va un peu plus loin et permet à Sheherazade d’utiliser son imagination autrement que par des récits oraux.
Reprenant le principe des Contes des Mille et une Nuits, qui est d’enchâsser de nombreux récits aux multiples personnages dans l’histoire de Sheherazade, Étienne Le Roux fait de Dinarzade, la petite soeur de Sheherazade, un élément-clé de La Mille et unième nuit, puisque c’est elle qui s’aventure chaque jour en ville pour rapporter des histoires que sa soeur transforme ensuite en contes remplis de paraboles afin d’échapper au supplice un jour de plus.
Tandis qu’elle s’aventure au marché, le sultan, lui, part à la chasse au lion et tombe entre les griffes d’une divinité à tête de lion, Baa’lim, qui conclura un étrange marché avec lui. Quant aux ennemis du souverain, ils sont semble-t-il aux portes du royaume et Sheherazade, elle, s’apprête à accoucher…
Un récit épique et magique fidèle à l’esprit des contes
Le scénariste a su retrouver l’esprit merveilleux, mais néanmoins emprunt de violence, de ces contes oraux dont une partie furent retranscrits (et non seulement traduits) par Antoine Galland au XVIIIe siècle, qui les tenait de son assesseur syrien. Entre le « roi lion », les djinns, tapis volants et autres créatures merveilleuses, le lecteur aura de quoi renouer avec ses souvenirs d’enfance, tandis que les dialogues apportent une bonne dose d’ironie à l’ensemble, notamment en ce qui concerne la situation des femmes à l’époque et les relations entre époux.
Ainsi, il ne faut pas s’attendre à une approche manichéenne : si Le Roux se rapproche de la fin originale, où Sheherazade enfante (en fonction des versions) deux voire trois enfants, ceux qui voudraient voir ce meurtrier de sultan périr dans d’atroces souffrances risqueront d’être déçus. Au lieu de ça, on verra plutôt comment les femmes trouvaient des parades pour survivre en pareilles circonstances. Le point de vue exprimé par celles-ci, assez cynique, ne doit pas être pris au premier degré, mais au contraire considéré comme un signe de désillusion, auquel l’auteur apporte des touches d’humour noir bien senties.
Le dessin de Vincent Froissard fait quant à lui de cette Mille et unième Nuit un véritable bijou visuel, avec ses pastels où les coups de crayon sont perceptibles et ces grands à-plats figurant le désert et une impressionnante tempête de sable. Entre teintes chaudes et bleutées, les planches sont un véritable plaisir pour les yeux, renforcé par la présence mesurée, pour quelques passages choisis, d’enluminures orientales les mettant en valeur. Le découpage évolue en fonction du récit, alternant entre des cases larges (parfois même en pleine page) retranscrivant la grandeur des espaces où se déroule l’action, et plus restreintes, le tout au sein de planches toujours conçues avec soin. L’album n’est pas proposé en version numérique et c’est tout à l’honneur de l’éditeur tant l’oeuvre mérite d’être lue et appréciée dans cette superbe édition (une constante dans cette collection) à l’impression irréprochable.
Au final, nous sommes tout autant pendus aux lèvres de Sheherazade que le sultan lorsqu’il s’agit de connaître le fin mot de l’histoire et, si cet ultime récit n’est peut-être qu’une ultime pirouette de la part de la conteuse, nous sommes quant à nous durablement sous le charme de cette jolie bande-dessinée qui donne envie de se replonger dans les versions intégrales des Contes des Mille et une Nuits. Un régal.