Caractéristiques
- Auteur : Tom Gauld
- Editeur : 2024 Editions
- Date de sortie en librairies : 18 octobre 2016
- Format numérique disponible : Non
- Nombre de pages : 94
- Prix : 17€
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 7/10 par 1 critique
Major Tom to Ground Control…
Cartooniste pour le New Yorker, le Britannique Tom Gauld a publié plusieurs bandes-dessinées dans son style épuré immédiatement reconnaissable, dont ce joli et mélancolique Police lunaire en 2016, qui se retrouve cette année en compétition pour le Prix SNCF du polar. Le lecteur se retrouve plongé dans un futur où l’Homme a colonisé la lune et différentes parties de l’espace, où l’on trouve du coup commissariat, musées, restaurants et habitations. Malheureusement, sitôt ce rêve réalisé, l’espèce humaine s’est semble-t-il désintéressée de cet astre où chacun vit confiné dans sons scaphandre. Lorsque la BD commence, la lune est quasi-désertée, et l’unique policier en faction, privé de crimes à résoudre, s’y ennuie ferme, répétant inlassablement chaque jour les mêmes actions monotones, avant de déguster un donuts et un café achetés à un distributeur dont il est le seul client. Seul et apathique devant ce spectacle qui n’émerveille plus personne, il demande sa mutation, mais celle-ci est refusée…
Parler (et montrer) l’ennui en bande-dessinée n’est pas chose aisée, le risque le plus évident étant de perdre bien vite l’attention du lecteur. Cela n’est pas le cas de ce Police lunaire inspiré, court mais d’une vraie richesse, tout en étant quasiment muet. Construit en planches de 1 à 4 cases, la BD de Tom Gauld met en images le vide, l’automatisation et la répétition avec rigueur, et une simplicité touchant à la poésie de manière inattendue dans les dernières pages. On ne compte que quatre couleurs (bleu cobalt, gris, noir, blanc), tandis que les cases, toutes de formes géométriques, sont construites selon un découpage volontairement répétitif aux variations subtiles, mais l’auteur nous raconte véritablement quelque chose de la conquête de l’espace et de notre soif inextinguible d’absolu, de possession, comme de rapports humains, où la machine est paradoxalement de plus en plus prégnante.
Ultra-moderne solitude
Dans les années 60, l’homme a voulu rejoindre les étoiles et poser le pied sur la Lune, mais, une fois cet exploit accompli et le drapeau américain planté, l’Homme s’est en grande partie détourné de ce vieux rêve, si l’on excepte les missions spatiales en orbite. L’impossible avait été rendu possible, alors maintenant, que faire ? Nous sommes restés sur le plancher des vaches, avons développé une technologie de plus en plus innovante et intrusive, remplaçant peu à peu de nombreux travaux manuels, mais aussi postes autrefois occupés par l’Homme. Pourtant, malgré ces nombreux gadgets censés nous faciliter la vie et nos relations, notre époque est celle de l’ultra-moderne solitude, comme la chantait déjà Alain Souchon il y a 30 ans.
Et c’est finalement cette histoire que nous raconte Tom Gauld, sur le ton de la parabole SF. Confronté à une absence d’activité à son travail (problème réel qui touche de plus en plus de monde), le policier solitaire voit tout le temps les mêmes personnes auxquelles il ne dit pas grand chose, est confronté à une dépression latente pour laquelle on lui envoie un thérapeute-robot qui se révèle incapable de l’aider en raison de prises de courant défectueuses ou obsolètes… En fin de compte, il a perdu sa capacité à rêver et à s’émerveiller, cette même capacité qui nous a poussés à viser la lune. Et là est bien le noeud du problème, qui trouvera une résolution simple et touchante à la fin. C’est dans cette épure que l’auteur. parvient à viser juste et à nous interpeller : en nous rappelant qu’un peu de chaleur humaine est tout ce qu’il nous manque pour renouer avec nos rêves déchus.