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[Critique] Le corps du héros — William Giraldi

Caractéristiques

  • Traducteur : Vincent Raynaud
  • Auteur : William Giraldi
  • Editeur : Editions Globe
  • Date de sortie en librairies : 31 janvier 2018
  • Format numérique disponible : Oui
  • Nombre de pages : 302
  • Prix : 22€
  • Acheter : Cliquez ici
  • Note : 8/10

Le culte du corps et de la vitesse

Auteur du roman Aucun homme ni Dieu paru en 2015, William Giraldi est né et à grandi à Manville, un petit village du New Jersey, non loin de Boston, dont la mentalité est inscrite dans le nom même : la ville l’homme. Dans cette cité ouvrière, la virilité (avec tous les présupposés qui l’accompagnent) est une valeur capitale : les hommes doivent montrer « qu’ils en ont » et font peu étalage de leurs sentiments. A travers Le corps du héros, mémoires atypiques aux éditions Globe, l’auteur américain revient à la fois sur sa passion de jeunesse pour le culturisme, mais aussi sa relation à son père, fou de vitesse, qui disparut dans un tragique accident à l’âge de 43 ans.

Un livre scindé en deux où Giraldi interroge ce que signifie « devenir un homme » en Amérique, tout en se penchant sur le culte du corps. Cette étude du corps prend cependant ici des détours particuliers puisque, après avoir observé ses rituels de jeune culturiste, l’auteur dissèque la mort de son père, obsédé, hanté par les circonstances ayant mené au drame et le corps de ce héros avec lequel il entretenait un rapport complexe. Un essai éminemment personnel donc, qui prend des chemins inattendus tout du long avant de se terminer en hommage poignant à un père qui avait dû lui-même se confronter au regard de son paternel, véritable patriarche qui a également façonné la vision de William Giraldi.

Une vision inattendue du culturisme

Que Le corps du héros ne nous mène jamais exactement là où on l’attend est tout à son honneur. En effet, s’il porte un regard critique sur sa famille et le milieu dont il est issu, William Giraldi donne une vision fort différente du culturisme que celle que nous pourrions en avoir, très loin des clichés. Ainsi, si l’on rit souvent de ces mastodontes en lançant des blagues goguenardes sur l’homo-érotisme de la discipline, l’écrivain casse bien vite ce mythe en expliquant que l’exigence et les efforts très difficiles que demandent les spectacles et concours ne laissent en réalité guère de place à la moindre tension sexuelle malgré toute cette chair nue exposée, palpée, mesurée, comparée inlassablement, jour après jour — outre le fait, bien entendu, que les hommes qu’a côtoyés le jeune homme durant des années avaient une vision finalement très traditionnelle (et donc hétérosexuelle) de ce côté-là. Les passages où l’auteur décrit comment ses collègues l’ont coaché pendant des semaines, à 18 ans, pour le faire concourir dans la catégorie adolescents a de quoi faire frémir : des discussions sans fin autour d’un régime alimentaire très strict, des poses chorégraphiées où chaque muscle doit être actionné de manière très précise (ce qui requiert un effort physique bien plus intense que ce que l’on peut soupçonner), une absence de rapports sexuels pour éviter tout stress qui pourrait avoir un impact physique sur la tonicité des muscles… Le culturisme est décrit comme un véritable art, où l’artiste devient sa propre création, et où la solidarité a également sa place.

Par ailleurs, le profil de William Giraldi ne colle pas à l’image que l’on peut se faire d’un (ex) culturiste : adolescent maigrichon à 15 ans suite à une longue maladie qui l’a laissé alité durant des mois, il est initié à la musculation par un oncle mais se passionne également dans le même temps pour la littérature, des grands auteurs américains comme T.S. Eliot aux classiques de la littérature gréco-romaine comme Les Métamorphoses d’Ovide. Une passion qu’il dissimula longtemps à sa famille et son entourage, pour lesquels lire était vu comme une perte de temps, et un passe-temps quelque peu suspect. Pourtant, il parvint à réunir ces deux passions, jusqu’au jour où, suite à la fermeture de la salle de sport dans laquelle il s’entraînait et une dépression, il finit par abandonner cette pratique pour se tourner vers des études de lettres.

Trouver sa place en tant qu’homme en Amérique

La seconde moitié ausculte donc le long travail de deuil qu’il entreprit à la mort de son père, qui les avaient élevés seul lui et ses frère et soeur, et ne collait pas lui-même tout à fait à la vision qu’avait son grand-père de la virilité. Au-delà des relations de rivalité et de défiance père-fils lors de son adolescence, il retrace la manière dont son père s’est tardivement épanoui au volant de sa moto, et s’interroge en filigrane sur ce culte de la vitesse typiquement américain qui s’est transmis de père en fils dans sa famille. Un « culte » qui finit par coûter la vie à son père. Avec lucidité mais sans la moindre dureté envers sa famille, Giraldi déconstruit tout ce qui a mené à l’accident, des circonstances matérielles aux causes plus profondes, enracinées dans la généalogie familiale, et qui a poussé son père et d’autres à prendre des risques inconsidérés pour trouver sa place en tant qu’homme et sentir l’adrénaline monter.

Tout le brio du Corps du héros réside dans sa manière d’embrasser cette histoire personnelle, et donc singulière, pour mieux la transformer en une auscultation du coeur de l’Amérique, qui permet, au final, de mieux comprendre celle-ci. Une approche essentielle aujourd’hui donc, à mi-chemin entre Hillbilly Élégie et Fils de Gonzo, tous deux publiés aux éditions Globe.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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