Caractéristiques
- Auteur : Mattias Köping
- Editeur : Ring
- Collection : Ring noir
- Date de sortie en librairies : 25 octobre 2018
- Format numérique disponible : Non
- Nombre de pages : 548
- Prix : 21,90€
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 9/10 par 1 critique
Attention, roman choc
Et si le roman le plus remarquable de cette année 2018 nous parvenait tout droit de chez Ring ? On ne va pas rentrer dans le débat pitoyable autour de cette bien courageuse maison d’édition, laquelle a au moins le mérite de viser à relever le débat côté société, mais plutôt s’attarder sur son offre de divertissement. Autant ne pas passer par quatre chemins : nous ne connaissions pas l’auteur Mattias Köping. Et ce même si son précédent ouvrage, Les Démoniaques, s’est accompagné d’un joli succès populaire. Décadence d’une offre littéraire bien trop ample, ne permettant finalement, et paradoxalement, que peu de sorties de route. Nous sommes passés à côté, assumons-le. Et la découverte de cet incroyable Manufacturier intervient comme l’occasion de redresser ce tort.
Punchline : votre humble serviteur n’a rien lu d’aussi sombre depuis le retentissant Derrière les panneaux, il y a des Hommes. Il faut être conscient d’où vous allez mettre les pieds : Le Manufacturier est plus noir qu’un expresso romain. Ce fait est dû a deux piliers. Le récit bien entendu, sur lequel nous allons revenir de suite, et le style de l’auteur. L’histoire, donc, se situe entre France et Europe de l’Est. Si le découpage débute en 2017, dans une banlieue en forme de constat terrible pour notre politique sociale accompagnant ces endroits, un cheminement linéaire débuterait en 1991, dans un village croate en proie aux épouvantables exactions ayant cours en temps de guerre. C’est ici qu’a lieu un véritable massacre, mené par des tortionnaires : les Lions de Serbie. De cette boucherie, ne survivra qu’un enfant, Milovan, qui sera ensuite exfiltré vers un sol français plus paisible.
Un univers sombre au possible
Le Manufacturier opte pour une structure qui joue idéalement avec les flashbacks et autres ellipses, du moins le temps d’installer le background. Bien entendu, le but de l’auteur, Mattias Köping, est de jouer avec nos attentes, notre propre logique que l’on ne manque pas de superposer aux situations décrites. Retour en 2017, en France, au Havre plus précisément. Havre oui, mais pas de paix. On y fait la connaissance de Vladimir Radiche, capitaine de police aux méthodes qui renverraient ce bon vieil inspecteur Harry au rang de militant des Droit de l’Homme (et du Citoyen, il paraît). Arrêtons-nous ici quelques instants, car le traitement des personnages reste, dans cette satisfaction globale, l’élément que l’on perçoit comme le plus déterminant. Il est rare d’en trouver un qui ne soit pas une ordure malfaisante, un rat des bureaux, ou une victime d’un drame absolu en plein état post-traumatique. Vous êtes, encore ne fois, prévenus : débuter ce roman, c’est se lancer dans un univers sombre au possible.
Le Manufacturier, c’est un univers sombre duquel se dégage des problématique à l’avenant. On peut les rassembler autour de trois sujets. Le premier mène à la cité de la Vallée Verte, un quartier dont la description colle malheureusement assez bien avec le vécu subit des habitants réels de ces endroits. Trafic de drogue à grande échelle, prostitution, règlements de comptes meurtriers, le tout chapeauté par des organisations mafieuses, et pyramidales, très rodées. Mattias Köping étonne par le jusqu’au-boutisme des descriptions de ces territoires perdus de la République. En s’inscrivant dans le style, dans le roman (et en paraissant chez Ring, éditeur libre s’il en est), l’auteur se démarque de toute idéologie, et livre ce qui reste un constat alarmant, même si évidemment parfois outrancier pour les besoins du récit. Il n’est nulle question de se lancer dans une étude sociologique, là n’est pas le propos. Celui-ci est plutôt de vous asséner des directs, droites et gauches, en plein plexus.
La guerre ne meurt jamais
Ensuite, on a tout ce qui a trait avec le fondement même de l’histoire, soit la guerre en ex-Yougoslavie. Là aussi, Mattias Köping n’hésite pas à enfoncer sa lame là où ça fait mal, très mal. Ici, aucune envie d’épargner un camp, de trouver des circonstances atténuantes à certains, d’exonérer les autres de leurs massacres. La guerre, c’est deux camps qui s’entretuent (ndlr : merci, Captain Obvious !). Qui se violent. Ce qui en résulte ne peut que former le terreau du désespoir. Le Manufacturier touche là le vrai sujet, rarement évoqué finalement au sein de notre très prudente culture actuelle : que peuvent bien créer, profondément, les violences les plus inconcevables ? C’est ce qui traversait les écrits de Céline, écrivain gigantesque, génie du style, mais surtout être humain terrassé (et dramatiquement coupable d’une haine inexcusable) par une Première Guerre Mondiale qui n’avait rien d’un safe place pour chouineuses du vingt-et-unième siècle.
Sans apporter de réponses définitives, car ne se prenant pas une posture universitaire ou journalistique, Le Manufacturier dessine tout de même des répercussions qui, pour le moins, nous hanteront un long moment. Pour ce faire, l’auteur revient à ce qu’on décrivait plus haut : une galerie de personnages très convaincante. Milovan, devenu adulte et en proie à des terreurs nocturnes, est celui vers qui on se tourne naturellement. Mais pour le sujet précis des exactions par les milices, l’avocate Irena Ilic tient aussi un sacré rôle. Très cinématographique, sa caractérisation maitrise parfaitement la figure du paradoxe. Cette véritable redresseuse de torts, pourchasseuse de criminels de guerre, livre aussi quelques traits assez troublants. Pas du tous méchants, mais inquiétants, et assez idéaux pour imprimer un rythme soutenu dans le dernier tiers. On ne pourra pas en écrire plus à ce sujet, afin d’éviter tout spoiler désobligeant. Sachez simplement d’enfin croiser la route d’une femme forte intelligemment décrite, loin de la débilité profonde qu’on a pu subir dans The Predator ou Overlord.
Radiche, ordure inoubliable
Le troisième sujet tourne autour de la personnalité de cette ordure intégrale qu’est Vladimir Radiche. Là encore, et l’on s’en excuse, on ne pourra pas trop pousser l’analyse. Sous peine de briser une sacrée partie du mystère car, signalons-le ici, Le Manufacturier est un thriller qui joue beaucoup avec les acquis du lecteur. Toujours est-il que ce capitaine de police personnifie très bien la figure du personnage malaisant, qui porte en lui notre propre doute. Celui-ci est, d’ailleurs, continuellement provoqué. Ce qui ne fait que fortifier l’impression, délectable, qu’on ne pourra qu’être surpris par le prochain chapitre. Seulement, et c’est précisément ici qu’on se doit de débuter le tressage de louanges au style de Mattias Köping : ce dernier parvient à éviter le twist forcené. On ne le cache pas, le recours au retournement de situation peut parfois s’avérer contre-productif, tel le décès d’un énième personnage important de Game of Thrones. Il en résulte, souvent, un effet mollasson, de par l’attente finalement justifiée. L’équivalent littéraire du jump scare, au cinéma. Ici, ce n’est pas le cas. L’écrivain utilise une autre matière, beaucoup plus viscérale, faite d’indices laissés ici ou là, et d’une méfiance habilement charpentée. On ne voit pas vraiment venir ce que le dernier tiers nous réserve, mais on sent en permanence que quelque chose se trame.
Ainsi, le lecteur reste accroché à l’objet roman, tourne les pages frénétiquement, en dévore la substantifique moelle. Le terme de page turner, parfois un peu galvaudé, correspond au Manufacturier. D’autant plus que Mattias Köping accompagne ce tour de force d’un style ultra-efficace. Les phrases courtes, assez mélodieuses à l’oreille, forment un joli pavé de 548 pages bien remplies, mais dévorées à la vitesse de la lumière. Seule retenue : certaines répliques des caïds de cité font un peu datées. Mais rien de bien handicapant, on chipote. Pour tout vous dire, votre humble serviteur, encore lui, s’est envoyé l’ouvrage en l’espace de deux nuits très mouvementées. Car, il faut aussi le signaler, le récit offre toute une tripotées de situations d’une violence inouïe. Mais chut, vous le découvrirez bien assez tôt…