[Critique] 7 Nuits – Pa Ming Chiu

Caractéristiques

  • Auteur : Pa Ming Chiu
  • Editeur : Ynnis Editions
  • Date de sortie en librairies : 17 octobre 2018
  • Format numérique disponible : Non
  • Nombre de pages : 191
  • Prix : 12,90€
  • Acheter : Cliquez ici
  • Note : 7/10

Une semi-autobiographie touchante

L’une des particularités du domaine littéraire moderne, c’est cette très étrange volonté de tout bien ranger dans des cases bien proprettes. Bien entendu, les aspirations mercantiles ne sont pas étrangères (du tout) à ce fait : il est d’autant plus facile de toucher, par exemple, la jeune fille romantique quand on lui créé une gamme bien cadrée. C’est à la fois logique, et un peu triste. Car, dès lors, certains auteurs se voient comme obligés de répondre à cette formalisation à outrance, et prennent le risque de voir leurs originalités brimés par les attentes, non pas du lectorat mais du « marché ». Un constat qui n’atteint pas 7 Nuits, écrit par Pa Ming Chiu, paru aux éditions Ynnis. Et nous allons voir pourquoi.

L’histoire de 7 Nuits se révèle d’une douce limpidité. Tout débute par une fin de soirée de mai 1993, qui s’étendra à des heures bien tardives. Deux adolescents, S. et Mulot, font le mur, et prennent la direction de leur collège. Là, ils sont rejoints par Marie, que le second cité semble convoiter. Le but de cette réunion aussi secrète qu’interdite ? Se faire peur, bien entendu. Dès lors, les trois camarades se mettent en marche, et rejoignent un chantier à l’abandon. C’est ici qu’ils feront face à leurs angoisses, qu’elles soient provoquées par une découverte macabre, ou par les changements profonds en eux.

Un sentiment d’évolution réussi

Il serait aisé de classer 7 Nuits dans la catégorie young adult : dès sa couverture, assez mystérieuse et référentielle (impossible de ne pas penser, immédiatement, aux romans de Stephen King, donc à son ersatz Stranger Things), on sent qu’on débute un voyage au cœur du genre. Première constatation, ce fait n’est pas spécialement appuyé par l’histoire, ni pas sa forme, que l’on abordera plus bas. L’auteur, Pa Ming Chiu, aussi journaliste notamment chez AnimeLand, ne s’en cache pas : cet ouvrage est semi-autobiographique. Cela se ressent dans les thèmes abordés, finalement traités avec plus de subtilité que dans une bonne partie des romans, destinés aux « jeunes adultes », sortis ces dernières années. On y retrouve le rapport des adolescents à l’imaginaire, à l’amour, au temps qui passe, le tout baigné dans une atmosphère étonnamment touchante.

7 Nuits s’intéresse particulièrement à trois personnages. S., qui a sans doute beaucoup en commun avec l’auteur en terme de traits de caractère, est le principal. C’est son évolution qui se fait la plus palpable, ce sont ses sentiments qui remplissent les pages. Pour qu’il y ait cheminement, il fallait absolument un accompagnement apte à apporter problématiques et situations engageantes. Pour cela, on peut compter sur Mulot, ami d’enfance assez indispensable à l’intrigue, mais aussi au paradoxe des émotions ressenties par S. Marie, au-delà de la fraicheur qui l’entoure, notamment dans l’énergie de ses prises de décision, sera aussi capitale à la sensation de progression. Le lecteur pourra projeter bien des impressions, comme autant de souvenirs qui refont surface.

Un style spontané et des références modérées

L’auteur de 7 Nuits fait le choix, cohérent et salvateur, d’un style assez direct. Nul besoin de trop de circonvolutions autour de l’intrigue, de descriptions hors sujet, et l’auteur en est visiblement conscient. Le focus est opéré habilement, et la nuit qui enlace les personnages installe une sorte de hors champ narratif assez subtil. Cela permet aux personnages de pleinement exister, non pas en se coupant du monde (celui-ci refera surface à un moment précis, apportant, l’espace de quelques pages, une note un peu plus sombre), mais en bravant celui-ci. On pensera notamment à la très attendrissante séquence sur le siège arrière d’une voiture, qui rapproche S. et Marie de la plus belle des manières, au risque de se faire prendre.

Si le style se veut spontané, cela ne veut pas dire qu’il est superficiel. 7 Nuits est l’occasion, pour Pa Ming Chiu, de tester l’équilibre entre la narration et le référentiel. Deux valeurs, qui ont tout à voir, mais qui peuvent parfois, dans d’autres romans, se percuter au point de créer une distanciation malheureuse. L’auteur se déplace sur le fil du rasoir, mais on est satisfait, finalement, par la maitrise dont il fait preuve en ne tombant pas dans le name dropping de bas étage. Dès lors, voir apparaître les titre d’Akira, de Gargoyle’s Quest et d’autres, provoque plus le sourire d’adhésion que le hochement de tête geek et fondamentalement sans grand intérêt. Aussi, on sent, sur la fin, poindre une envie de creuser dans une direction métaphysique, qui pourra dessiner des contours proto-lynchéens. Voilà qui termine de construire un univers assez prometteur.

Pour ce qui est de la forme, 7 Nuits surprend encore, même si tout n’est pas parfait. On n’est pas spécialement charmé par le chapitrage, dont l’impact se trouve coincé le cul entre deux chaises. Le résultat se situe entre le découpage façon scénario, et l’agenda secret. Les deux styles ont leur force, mais il aurait fallu, peut-être, pousser le concept plus loin. Cela ne modifie pas la bonne impression en fin de lecture, bien heureusement. Enfin, l’édition se termine sur une vingtaine de pages de croquis et de concepts, tous commentés par la talentueuse illustratrice Koni, et l’auteur lui-même. Voilà qui nous fait écrire que Pa Ming Chiu est, avant tout, un provocateur d’images, qui ressent sans doute le besoin de maitriser celle-ci afin de mieux en rendre compte. Du coup, cet appendice se justifie dans une vision globale qui, décidément, aura su nous toucher.

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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