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[Critique] La Vie de Bouddha : intégrale T1 – Osamu Tezuka

Caractéristiques

  • Auteur : Osamu Tezuka
  • Editeur : Delcourt Tonkam
  • Date de sortie en librairies : 31 octobre 2018
  • Format numérique disponible : Non
  • Nombre de pages : 809
  • Prix : 32,99€
  • Acheter : Cliquez ici
  • Note : 9/10

Une œuvre gigantesque, dans une édition luxueuse

Aborder un manga signé Osamu Tezuka, c’est tout comme se lancer dans l’analyse d’une symphonie de Ludwig van Beethoven. Ou la critique d’un film réalisé par Stanley Kubrick. C’est flippant. Pas pour de basses raisons critiques, mais parce que les œuvres du Dieu des mangakas sont impressionnantes. Réellement. Pas seulement par leur nombre, même s’il nous faut rappeler quelques chiffres : 170 000 planches, 700 titres, et environ 70 dessins animés à son actif. Oui, en une seule vie bien remplie. Et, loin de se laisser imposer un rythme par des supérieurs, comme ce qu’a subi, plus tard, un Akira Toriyama, l’artiste en a profité pour révolutionner le manga. Son langage, profondément humaniste et précurseur, en ce sens où la bande dessinée japonaise, dans sa forme, s’en trouva bouleversée à jamais, provoque de véritable chefs-d’œuvre. Et c’est l’un d’eux qui nous intéresse aujourd’hui : La Vie de Bouddha.

Plus précisément, le premier tome de l’intégrale de La Vie de Bouddha, dont nous aborderons plus loin la grande qualité d’édition. Dans celui-ci, nous suivons plusieurs destins qui, chacun, vont créer des échos. Jusqu’à ce que ceux-ci provoquent la naissance d’un être suprême, véritable espoir pour l’humanité, pour son salut. Le récit prend place en Inde, quelques années avant la venue au monde de Siddharta, fils du du souverain de Kapilavastu. Osamu Tezuka ne débute pas son récit avec ce personnage, il prend le temps d’installer des personnages, non seulement pour expliquer le besoin qui accompagne l’éclosion du Prince, mais aussi afin de plonger le lecteur au cœur d’une culture indienne finalement peu connue. La division par castes, les tensions politiques, tout se fait plus clair grâce aux cheminements de Tatta, Chaprah et Naradatta.

La première moitié de La Vie de Bouddha : l’intégrale Tome 1 développe ces trois personnages, mais aussi la société dans laquelle ils s’inscrivent. Tatta est un Pariah. Notre première rencontre avec lui, à la suite d’un de ses larcins, nous plonge de suite dans ce qui fait la sève de l’œuvre : un humanisme qui ne lésine pas sur un certain réalisme, malgré des touches d’humour et de fantastique. L’enfant, nu comme un ver, va connaître bien des épreuves, traverser autant de drames, comme la perte de sa mère. Mais c’est sa capacité à prendre le contrôle des animaux qui nous frappe le plus. Utile pour l’avancée du récit, mais aussi afin d’imprimer une saveur aventurière qui fait de ce manga un véritable divertissement. Chaprah, lui, est un esclave. Sa condition est vécue comme une véritable malédiction : elle se transmet de parent en enfant, sans que personne ne puisse changer la donne. Pas d’ascenseur social, ici. Mais sa volonté d’élever son rang, et de sauver sa mère d’une vie tragique, lui fera croiser la route du Général Boudhaï, commandant de l’armée du Kosala. De bien vilaines rencontres, puisque ce dernier se fait attaquer par des crocodiles, alors qu’il se baigne. Chaprah le sauve, mais l’homme ne s’en sort pas indemne. Cette bonté d’âme lui vaudra d’être pris sous l’aile du Général, lequel en fait son fils adoptif, promis à sa succession.

Le maitre Tezuka fait un récital

Seulement, rien n’est facile. Pour personne. Naradatta, un brahmane (moine dont la caste est la plus élevée, au-dessus des lois), l’apprendra à ses dépens. On ne vous révélera plus rien de l’intrigue La Vie de Bouddha : l’intégrale Tome 1, sous peine de dévoiler des passages parmi les plus marquants de cette œuvre qui, très clairement, n’en manque pas. Cette première partie provoque toute une gamme de sentiments, et le lecteur va de surprise en surprise. Il était permis de redouter un certain ennui, du moins quand on n’est pas coutumier du style Osamu Tezuka. Le sujet, religieux, n’est pas spécialement tentant pour certains d’entre nous. Mais qu’ils se rassurent : le gigantesque auteur ne se perd pas dans une pédagogie purement congréganiste. Si le récit est truffé d’interventions fantastiques, et n’oublie pas d’évoquer une très belle philosophie, on ne fait pas face à une histoire contée par une grenouille de bénitier. Il est question de la mort, de la vie, de son sens profond, et d’une certaine lutte des classes.

La deuxième partie de La Vie de Bouddha : l’intégrale Tome 1 s’intéresse à l’éducation de Siddharta. Jeune garçon de constitution fragile, son esprit est déjà affuté. Dans la ligne de mire, la remise en cause du système de castes, par le biais d’une réflexion humaniste. Si nous mourrons tous un jour, alors pourquoi tant de privilèges ? Ce genre d’interrogation vont le pousser à s’engager sur une route inattendue, surtout pour son père, le roi de Kapilavastu. Un exil que Siddharta ne pourra effectuer qu’après de nombreuses épreuves, toutes utiles pour sa construction philosophique. Osamu Tezuka, lui, nage comme un poisson dans l’eau. Le mangaka trouve là le sujet parfait afin de laisser cours à ses pensées les plus profondes. Sous une délicieuse couche de légèreté, la violence de la société décrite nous renvoie à beaucoup de nos démons contemporains, et c’est sans doute ce qui provoque toute la puissance de cette lecture frénétique, que chacun pourra constater.

Autre constat, celui de la qualité du dessin, de la mise en scène, et plus généralement de l’exploitation du concept de bande dessinée. La Vie de Bouddha : l’intégrale Tome 1 fascine non seulement pour son propos, mais aussi pour l’énergie qui s’en dégage. Les mouvements sont rendus à la perfection, les expressions ne sont pas en reste. Le paradoxe créé grâce au trait presque candide, et les émotions, est symptomatique d’un artiste cherchant à briser le quatrième mur. Mur qui, par ailleurs, vole en éclat à l’occasion de quelques anachronismes maitrisés, voire de gags qui utilisent les limites des cases. À cet ensemble divin, on ajoute une qualité d’édition tout bonnement sensationnelle. Cette intégrale, et d’autres que l’on abordera tout bientôt (L’Histoire des 3 Adolf, Ayako, Barbara) paraissent dans des intégrales de haute volée, signée Delcourt Tonkam (GantzYuko). Un luxe qui ne fait que soutenir une œuvre sidérante.

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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