Caractéristiques
- Auteur : Osamu Tezuka
- Editeur : Delcourt
- Collection : Delcourt/Tonkam
- Date de sortie en librairies : 31 octobre 2018
- Format numérique disponible : Non
- Nombre de pages : 448
- Prix : 24,95€
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- Note : 8/10 par 1 critique
Un manga à part dans l’oeuvre d’Osamu Tezuka
Publié dans la revue Big Comic du 10 juillet 1973 au 25 mai 1974, Barbara d’Osamu Tezuka (La vie de Bouddha) une œuvre à part, que son auteur a conçu comme une pause, une « récréation », entre ses mangas Ayako et Shumari. Cependant, il ne s’agit pas vraiment d’une œuvre mainstream, loin s’en faut, mais d’une réflexion résolument onirique et décalée sur l’art et l’inspiration. La Barbara du titre est une toute jeune hippie constamment saoule traînant dans des vêtements poisseux à la gare, dans l’attente d’un artiste à inspirer.
Ainsi, si l’on croit au départ que la jeune femme n’est qu’une paumée cherchant à s’incruster chez l’écrivain à succès Yosuke Mikura, on comprendra ainsi peu à peu qu’elle est en réalité l’une des neuf muses de la mythologie grecque. Libre et sauvage, pour ne pas dire malpolie, elle se contrefiche de ce qu’on lui dit, et change de forme en fonction de l’artiste qu’elle doit inspirer. Ainsi, si le tourmenté Mikura la voit sous les traits d’une hippie à la dérive, cela n’est sans doute que le reflet de ses propres démons qui le tourmentent, lui qui avoue être porté sur la boisson et avoir des penchants sexuels déviants.
Une réflexion sur l’art, le temps et l’inspiration
La couverture de cette intégrale de Delcourt/Tonkam nous montre les héros pris dans une spirale, et ce n’est sans doute pas pour rien : il y a indubitablement quelque chose dans Barbara qui rappelle le Vertigo d’Alfred Hitchock (1959), dont le générique de Saul Bass était justement une spirale. Le manga de Tezuka raconte en effet l’obsession d’un homme pour les femmes et l’une d’elles en particulier, qui semble « modelée » par son comportement. De plus, le temps ne semble pas vraiment avoir cours dans Barbara : celui-ci semble être un éternel recommencement (Barbara réapparaît toujours) où l’art permet de transcender la vie et rester dans les mémoires, même lorsque celle de l’artiste a disparu.
Sans trop en dévoiler — l’intrigue serait dans tous les cas assez difficile à résumer de manière exhaustive et fidèle — l’histoire est finalement celle d’un écrivain qui rentre dans son œuvre après l’avoir écrite et y disparaît, rappelant par la même occasion cette fable chinoise autour d’un peintre qui en fait de même. Il y a ainsi dans Barbara une réflexion sur le geste artistique et ce que l’on met de soi dans une œuvre. L’étrange malédiction dont sera victime Yosuke Mikura en est clairement le symbole mais, par sa dimension onirique, Barbara est une œuvre qui se ressent davantage qu’elle ne se pense, d’où sa puissance d’évocation et l’impression de vertige qu’elle communique au lecteur.
Quant au style visuel de l’artiste, il rend compte des démons de son héros à la dérive et pourrait se définir comme un mélange d’onirisme romantique et de « décadence » un rien sordide — sans être aussi explicite qu’un auteur tel que Ryoichi Ikegami. La patte reconaissable entre mille de Tezuka est bien là, que ce soit dans l’apparence et les expressions des personnages ou encore le découpage de chaque planche. Un chef d’oeuvre (au concept inspiré par les Contes d’Hoffman) de la bande-dessinée japonaise à (re)découvrir, entre une lecture d’Ayako et La vie de Bouddha, disponibles au sein de la même collection aux reliures et couvertures soignées.