Caractéristiques
- Titre : Basquiat
- Traducteur : Xavier Hanart
- Auteur : Julian Voloj (scénariste) et Soren Mosdal (dessinateur)
- Editeur : Soleil
- Date de sortie en librairies : 2020
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 136
- Prix : 18,95 €
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- Note : 7/10 par 1 critique
Le duo formé par le scénariste Julian Voloj (Joe Shuster : un rêve américain) et le dessinateur Soren Mosdal propose une transposition en bande-dessinée de la vie du peintre New-Yorkais fétiche des années quatre-vingt, Jean-Michel Basquiat (1960-1988). De son adolescence jusqu’à sa mort prématurée à l’âge de 27 ans (rejoignant les idoles Jimi Hendrix ou Janis Joplin), les auteurs racontent comment l’artiste est passé de l’art de rue hip-hop (les graffitis SAMO) à l’art des galeries, de l’anonymat à la célébrité, de la pauvreté à la richesse, de la création comme cri primal à la production destinée à la vente.
Basquiat tente de montrer la souffrance de l’artiste autant que sa jouissance, laissant avant tout du peintre l’image d’un homme dont l’orgueil le pousse à hurler son talent mais qui ne trouve pas sa place dans le monde qui le célèbre, pas même aux côtés d’Andy Warhol dont il refuse d’être considéré comme le protégé. Un artiste créant dans l’urgence, un poète de la fulgurance comme le souligne Michel Nurisdany dans la vidéo ci-dessous, qui rappelle que Basquiat, parce que le fait d’être métis était insupportable, avait décidé de devenir « le plus grand artiste Noir ».
Comment raconter la vie d’un artiste culte ?
Basquiat, c’est avant le récit d’une ascension et d’une chute, au faîte de la gloire de l’artiste, une histoire qui abonde d’excès, de misère, d’argent, de sexe, de drogue, de morts. C’est la trajectoire d’un de ces cygnes noirs qu’affectionnent les amoureux des artistes considérés facilement comme « maudits », des étincelles de beauté rapidement éteintes telles que purent l’être les vies et les œuvres de Jim et Janis, Rimbaud, van Gogh, Kurt Cobain ou Syd Barret (ce dernier étant mort, en revanche, bien âgé). Vouloir raconter la vie de Basquiat en bande-dessinée, c’est devoir affronter non seulement les faits de la vie de l’artiste mais également les fantômes de tous ces autres artistes métamorphosés en mythes par leur mort précoce. Autrement dit, grand est le risque de faire une célébration funèbre et rock n’roll alignant les clichés, une commémoration qui se veut intime dans le cas de Basquiat, même interne, par le biais d’un alter-ego issu d’une de ses peintures rappelant à l’artiste mourant les moments les marquants de sa vie. « Te souviens-tu ? » est une phrase qui revient souvent au fil du livre dessiné, litanie d’un homme sans avenir.
Basquiat s’ouvre en effet par les derniers instants de la vie du peintre et se termine par son décès, son existence étant enchâssée entre ces deux moments. Le plus souvent annoncés par la narration de l’alter-ego peint, les épisodes de la vie de Basquiat s’enchaînent d’une manière linéaire, le lecteur reconnaissant au fil des cases les personnes célèbres qu’il croisa au cours de ses soirées (les groupes Talking Heads ou Blondie), avec qui il partageait amitié et complicité d’artistes (Keith Haring), avec qui il œuvra et se fâcha (Andy Warhol) ou partageait brièvement son lit (la future Madonna). De petites notices biographiques des figures marquantes de la vie de Basquiat accompagnent la bande-dessinée et la complètent tellement bien qu’on regrette que certains moments de sa vie ont été éludés du récit. Ci-dessous, vous pouvez lire les premières pages de la BD Basquiat :
Les auteurs se gardent bien de proposer d’analyser explicitement les causes de l’instabilité et de la rage de Basquiat, l’accent étant toutefois mis sur le racisme dont il souffrait. Une séquence le montre rejeté à la fois par les Blancs et les Noirs (figurés par Afrika Bambaataa), errant au gré des portes qui s’ouvrent et se ferment devant lui, le métis qui se voulait Noir mais était célébré dans les galeries des Blancs. Les évènements s’enchaînent jusqu’à la mort du peintre et le lecteur suit l’émergence de sa célébrité et sa tentative de fuir non seulement le marché de l’art mais la réalité, le peintre se réfugiant dans son propre monde de la peinture et des drogues. Il est regrettable que les auteurs n’ont guère montré la lucidité dont pouvait faire preuve Jean-Michel Basquiat et ont réduit sa figure à celle de l’artiste instable en rejet du monde, propre au «maudit».
Un récit dessiné à demi-convaincant
Le dessin est expressionniste pour correspondre avec la peinture très gestuelle de Basquiat, changeant au gré de ses humeurs, instable comme l’artiste (c’est du moins ce qu’il suggère). Le temps de quelques cases, les personnages sont plus réalistes ou plus caricaturaux, même grotesques lorsque les yeux de Basquiat sortent de ses orbites à la manière des cartoons parodiés par les dessinateurs de la contre-culture des années soixante-dix (Robert Crumb).
On sent la volonté des auteurs de transposer par des moyens graphiques le milieu culturel de Basquiat. L’encrage est brut, laissant percevoir les hésitations et reprises, renforçant l’instabilité des dessins. Les couleurs en aplats sont vives mais témoignent selon nous d’une hésitation entre réalisme et stylisation pop, jusqu’à opter pour des associations de demi-teintes peu harmonieuses. Le tout donne l’impression d’une pop culture souillée par de la pisse ou les égouts. Est-ce un choix délibéré, visant à instiller un certain malaise ? Insistons ici sur le challenge que représente le fait de raconter la vie d’un peintre en bande-dessinée : à moins d’opter pour un style radicalement différent de celui de l’artiste, la comparaison est inéluctable et on se plaît à imaginer comment Basquiat lui-même aurait dessiné sa vie.
La proposition des auteurs fonctionne, sans provoquer un grand enthousiasme. Il en est de même de l’utilisation de l’alter-ego tiré de sa peinture qui le temps de quelques cases parvient à s’affranchir de sa pure fonction narrative pour figurer vraiment l’intériorité de Basquiat, qui demeure un mystère. Le temps de ces cases, la figure peinte devient le fétiche de ses démons brûlants à l’intérieur de lui-même, elle se transforme, grandit d’une manière cauchemardesque et nous aurions préféré qu’elle demeure ainsi une ombre du peintre, de ses non-dits, au lieu d’être un acolyte bavard réduit à une simple utilité narrative. A la fin de la bande-dessinée Basquiat, le peintre reconnaît qu’il s’agit de son alter-ego, qui le quitte et le condamne au silence de la mort ; pour cette belle idée ainsi que son évocation touchante des mondes de la rue et de l’art new-yorkais des années quatre-vingt, Basquiat vaut malgré tout d’être lue.