« Vanité des vanités, tout est vanité » (Ecclésiaste 1:2). Cette phrase que l’on attribue au roi Salomon est un constat d’impuissance et de pessimisme sous une forme superlative : tout ce qui est mortel est vain, donc futile et même insignifiant, car voué à redevenir poussière. Ceci ne changera jamais (« Il n’y a rien de nouveau sous le soleil » dit l’Ecclésiaste) et être doué de sagesse, en ce sens, c’est reconnaître le chagrin et la douleur que cela implique pour mieux se tourner vers l’éternel, en se détournant des satisfactions passagères.
C’est ce que de nombreuses œuvres d’art ne cessent de rappeler depuis des siècles et des siècles, comme le montre la superbe exposition À la mort, à la vie ! Vanités d’hier et d’aujourd’hui du Musée des Beaux-Arts de Lyon (27 novembre 2021 – 7 mai 2022). À l’occasion de cette exposition, nous avons par ailleurs publié un article analysant la présence de la mort dans les œuvres regroupées sous le terme de vanités ou, plus largement, de memento mori.
Danse macabre, danses de vie
L’exposition du Musée des Beaux-Arts de Lyon offre de parcourir ce vaste thème des vanités en dix étapes, qui débute par les danses macabres. Apparues au XIVe siècle à la suite de la grande peste, les danses macabres rappellent que riches et pauvres, sages et insensé connaissent le même sort : la mort et l’oubli. Comme tout le monde naît, vit et meurt, la deuxième étape est la représentation des âges de la vie, puis l’évocation de la fragilité de la jeunesse, avant d’aborder « les vanités des vanités » aux crânes scrutateurs. Se succèdent ensuite des salles sur les illusions des arts et des savoirs, les méditations sur la mort et l’immortalité de l’âme, les « plaisirs qui partent en fumée », l’éphémère beauté des fleurs, les natures mortes rappelant à quelle point la vie est précieuse. En fin du voyage, on est confronté au miroir animal, au travers de représentations de la mort des animaux. Un programme complet, varié et qui ne peut pas laisser de marbre, dont vous trouverez le descriptif dans guide réalisé par le Musée des Beaux-Arts.
Le memento mori, omniprésent en arts
Tout au long du voyage entre vie et mort proposé par le Musée des Beaux-Arts, on découvre des œuvres d’artistes, de périodes et de provenances très variées (surtout européennes) : gravures du XVIe siècle, peintures de natures mortes du XVIIe ou XVIIIe siècle par Hamilton ou van Dael, dessin de Rembrandt, aquarelles de Berjon, mais aussi des œuvres du XXe siècle de Picasso, Bacon, Errò, Barcelò, Étienne-Martin, Gilbert & George ou Jim Dine, mais aussi plus récentes.
On est frappé par la permanence du thème de l’antiquité jusqu’à nos jours, jusqu’à ces portraits de jeunes qui, ne trouvant pas leur place dans la société parce qu’ils ou elles sont non-binaires, arborent à l’oreille un crâne. Ce crâne que nous associons à la mort alors qu’il est de notre squelette et, donc, de notre vivant, caché sous la peau et la chair, comme une présence que l’on voudrait refuser.
Un voyage en forme de méditation
On peut qualifier de memento mori tout « objet de piété, propre à susciter une méditation sur la mort » (selon le Robert historique de la langue française). Comme ce type de méditation est sans doute universelle, car nous mourrons toutes et tous, il est sans doute discutable de regrouper l’ensemble des objets et des œuvres visant à rappeler la finitude sous l’appellation de « vanités ». Ce dernier mot, nous l’avons vu, implique une certaine manière de concevoir la vie mortelle, comme un temps de satisfactions, de plaisirs, de tentations qui ne sont rien et détournent même de la l’idée d’immortalité de l’âme. Une grande partie de l’exposition est donc à juste titre consacrée aux représentations de toutes ces vanités. Or, tout memento mori n’est pas forcément le reflet d’une telle conception métaphysique, intimement liée au christianisme, comme nous le rappelons dans notre analyse complémentaire.
Le terme memento mori implique par ailleurs un rapport à soi que le mot « vanités » ne met pas autant en évidence (voir aussi notre analyse). Mais ce petit pinaillage sur les mots ne doit pas faire croire que l’exposition du Musée des Beaux-Arts ne possède une dimension universelle, car que l’on soit sensible ou non à la culture chrétienne, on ne peut qu’être profondément touché par ce qu’on y voit. C’est ainsi, avec émotion, qu’on découvres les Faces de Philippe Bazin photographiées à l’hôpital. Il est à noter que certaines œuvres sont ainsi susceptibles de troubler profondément, parce qu’elles nous ramènent à nos propres peurs, nos émotions face à la vie, la maladie, la mort.
Une exposition sur les vanités stimulant les sens et l’esprit
Au cours de notre visite, les réactions de groupes de lycéens très divers nous a montré à quel point la seule (omni)présence du crâne suffit à provoquer des réactions très vives, de même que l’installation Tiny Deaths de Bill Viola qui plonge dans l’obscurité pour mieux faire surgir des personnages fantomatiques. Si on est peu touché par les grandes peintures de Saint-Jérôme ou Marie-Madeleine dans le désert, guettés par les orbites d’un crâne caché dans le décor rocheux, on peut en revanche se délecter des bouquets de fleurs si virtuoses qu’ils semblent réels. Une virtuosité qui est au cœur même du programme idéologique des vanités (nous confronter à la tentation des illusions), comme nous l’abordons plus en détail dans notre analyse.
Sens et esprit sont pleinement stimulés par cette magnifique exposition, qui s’achève par les images bouleversantes d’animaux morts, rappelant le Christ de douleur crucifié, comme une manière de rappeler que l’humanité n’est pas seule à être douée de sensibilité et de conscience de soi.
À la mort, à la vie ! Vanités d’hier et d’aujourd’hui, à voir au Musée des Beaux-Arts de Lyon jusqu’au 7 mai 2022. 12€ (plein tarif), 7€ (réduit) ou gratuit (selon les conditions à consulter sur le site).
P.S. : Les amatrices et les amateurs des squelettes maudits d’Eric Liberge ne manqueront pas de penser à sa série Monsieur Mardi-Gras Descendre (éditée chez Dupuis), qui aurait parfaitement trouvé sa place dans cette exposition. Nous ne pouvons que vous inviter à (re)plonger dans les tréfonds de son Purgatoire plutonien !