[Critique] La guerre sainte n’aura pas lieu – Brahim Chikhi

Caractéristiques

  • Titre : La guerre sainte n'aura pas lieu
  • Auteur : Brahim Chikhi
  • Editeur : Plon
  • Date de sortie en librairies : 5 mai 2022
  • Format numérique disponible : Oui
  • Nombre de pages : 332
  • Prix : 19,90 euros
  • Acheter : Cliquez ici
  • Note : 6/10

Une plongée réaliste en banlieue parisienne

La guerre sainte n’aura pas lieu est le premier roman de Brahim Chikhi, publié aux éditions Plon. On y suit Sophiane, jeune délinquant en devenir dont le quotidien est fait de petits trafics et d’argent facile. Il vit à Saint-Denis avec sa mère Fouzia et son frère Youssef, qui est en train de basculer dans un islamisme radical et tente de convertir son entourage. Alors qu’il fuit la police, pris en flagrant délit d’un vol à l’arraché, Sophiane est sauvé par un mystérieux joueur d’échecs, Gabriel, qui le prend sous son aile et devient son maître de jeu, mais aussi son maître à penser.

Avec son titre rappelant La Guerre de Troie n’aura pas lieu, Brahim Chikhi rend hommage à Giraudoux et transpose sa ferveur pacifiste dans le contexte spécifique de la banlieue parisienne. Ici, ce ne sont pas des nations qui s’affrontent à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, mais un idéal d’intégration au pays d’accueil, la France, opposé à la tentation de l’intégrisme religieux.

Dès les premières pages de son roman, l’auteur plonge le lecteur dans l’univers ultra-réaliste du 93 : en dépeignant ses quartiers insalubres, ses écoles débordées et sa jeunesse désœuvrée, il dresse un panorama sombre et cru de Saint-Denis, ville dans laquelle il a lui-même vécu et pour laquelle il s’investit activement en tant qu’élu et formateur dans des mouvements d’éducation populaire. Il décrit sans concession la misère sociale et la radicalisation religieuse et politique, et expose le contraste immense entre Paris et sa banlieue, deux espaces voisins et pourtant si opposés. Chikhi transpose cette discordance dans le niveau de langue qu’il utilise, faisant s’alterner le style élégant de la narration et le langage de la rue utilisé par Sophiane.

Un conte élégant mais trop didactique

Par bien des aspects, le premier roman de Brahim Chikhi emprunte au genre du conte. Chaque personnage semble avoir fonction d’archétype, ce qui n’est pas sans entraîner quelques stéréotypes : on croise ainsi un adolescent qui, par amour, cherche à s’extraire de son milieu social, un vieux sage donneur de leçons, une jeune fille inaccessible…

Gabriel, le maître d’échecs, profite de ses leçons pour méditer sur la vie et et raconter des histoires qui éduquent et appellent à la réflexion. Il cite à de nombreuses reprises le poète et savant perse Omar Khayyam pour illustrer ses enseignements et inviter Sophiane à approfondir ses raisonnements. La morale occupe une place très importante au sein du récit et l’on peut regretter l’emploi d’un ton très sentencieux, notamment lorsque le narrateur dénonce l’impuissance de l’Etat à appliquer les lois de la République à Saint-Denis.

Même si Brahim Chikhi manque parfois de subtilité dans les messages qu’il délivre, son écriture se révèle très élégante et recèle un sens profond de la bonne formule. En empruntant à la littérature orientale ou antique, il densifie sa plume et la rend poétique et émouvante. L’art et sa transmission sont placés sur un piédestal afin de montrer qu’il ne peut s’agir d’un péché, contrairement à ce que Youssef tente d’inculquer à son frère. C’est ce qui permet au contraire la communion de tous, quelle que soit leur origine, leur culture et leurs croyances.

Un plaidoyer pour l’émancipation par la culture

Brahim Chikhi est un militant de l’éducation populaire et ses sujets de prédilection sont au centre de son premier roman. La guerre à laquelle il fait allusion dans son titre et qui fait référence à la radicalisation islamiste est aussi le combat qu’il choisit de mener avec ses mots contre l’obscurantisme. Il nourrit une réflexion riche autour de la quête d’identité de son personnage principal qui, par peur d’être stigmatisé et rejeté, préfère éviter la confrontation avec d’autres milieux sociaux que le sien. Lorsqu’il commence à s’intéresser aux livres que lui conseille Maguelone, sa nouvelle amie, Sophiane se sent obligé de se cacher pour lire, comme si s’instruire était une honte, un affront à son quartier et à ses origines populaires. L’auteur interroge aussi ce que signifie « se sentir Français » sans renier ses origines et en acceptant de s’intégrer à une nation qui peut parfois donner l’impression de rejeter l’autre, quand l’alternative serait de basculer dans la délinquance ou l’intégrisme religieux.

Afin d’appuyer sa démarche, l’auteur opère un parallèle entre ses personnages et ceux de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, que lit Sophiane et dont l’histoire d’amour impossible fait écho de manière un peu poncive à la relation naissante du jeune homme avec Maguelone, issue d’un milieu très favorisé. Malgré ce scénario très classique, Brahim Chikhi délivre grâce à son roman un message pacifiste et invite à chercher ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous sépare.

La guerre sainte n’aura pas lieu est donc un premier roman intéressant à la plume riche et au ton très engagé. S’il est parfois un peu trop didactique, il propose une réflexion passionnante et pertinente autour de l’obscurantisme et de l’émancipation par la culture.

Article écrit par

Lorsqu’elle n’enseigne pas l’italien, Lucia Piciullina aime discuter de sa passion pour le cinéma, le théâtre et les comédies musicales. Spécialisée en littérature young adult et grande amatrice de polars et thrillers, elle rejoint Culturellement Vôtre en février 2020 pour y partager ses avis lecture et sorties culturelles.

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