Caractéristiques
- Titre : Féminicide
- Traducteur : Catherine Renaud
- Auteur : Pascal Engman
- Editeur : Nouveau Monde Editions
- Date de sortie en librairies : 7 février 2024
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 448
- Prix : 22 euros
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- Note : 9/10 par 1 critique
Âgé de 37 ans, Pascal Engman est l’auteur suédois de romans policiers les plus vendus de sa génération. Ancien journaliste au quotidien Expressen, il est publié dans une vingtaine de pays et connaît un très grand succès, grâce notamment aux enquêtes de son personnage récurrent : la policière Vanessa Frank.
Un thriller exigeant et passionnant
Enfin traduit en français aux éditions Nouveau monde, le roman Féminicide, lauréat du Petrona Award 2023 au Royaume Uni, est le troisième opus de la saga mais peut parfaitement être lu sans les autres, car il dispose d’une histoire parfaitement autonome. A Stockholm, Vanessa Frank enquête sur le meurtre d’Emilie Rydén, jeune femme de 25 ans assassinée dans son appartement. Son ex petit-ami violent est rapidement désigné comme le coupable idéal. Pourtant, Vanessa n’est pas convaincue et va mettre le nez dans une affaire beaucoup plus complexe, impliquant un réseau d’hommes frustrés et misogynes, des « incels », déversant leur haine des femmes sur les réseaux sociaux…
Avec Féminicide, Pascal Engman réalise un tour de force : son écriture est fluide, nerveuse et addictive, et plonge immédiatement le lecteur dans le cœur de l’action, avec un début in medias res percutant, aussitôt suivi de péripéties palpitantes. Il est difficile de lâcher le thriller avant son dénouement, particulièrement réussi. Entremêlant habilement différents fils conducteurs pour mieux les faire converger dans un climax haletant, Engman orchestre avec talent les multiples rebondissements de son roman choral.
L’intrigue est exigeante et passe sans cesse d’un lieu à l’autre, de la salle de rédaction du Kvälspressen – où l’on suit une jeune femme, Jasmina, rêvant d’une belle carrière dans le journalisme – au bureau de police de Vanessa, en passant par les parloirs d’une prison… Les personnages sont nombreux mais très bien caractérisés, ce qui facilite la compréhension du lecteur et l’encourage à suivre leurs destins entrecroisés. Chacun trouve une place réaliste dans l’histoire et l’architecture du roman, très solide, accompagne avec précision et maîtrise la progression du lecteur.
Une plume riche et immersive
Féminicide propose une large galerie de personnages mais parvient à donner à chacun épaisseur et profondeur. L’on connaît le passé de tous les protagonistes, leurs aspirations et motivations, et l’on ressent une empathie immédiate et sincère pour chacun d’entre eux. Loin de la froideur de certains polars, le roman creuse les émotions et les ressentis, et dresse des portraits humains particulièrement réalistes et attachants. Pascal Engman met d’ailleurs un point d’honneur à représenter la société suédoise dans ce qu’elle a de plus varié, s’intéressant tantôt aux classes moyennes, tantôt aux milieux plus aisés, quand il ne décrit pas le quotidien d’un couple de SDF, Börje et Eva.
Cette capacité de l’auteur à dépeindre un environnement réaliste se retrouve dans les décors où il choisit d’ancrer son récit. Stockolm prend vie sous nos yeux à travers de nombreuses descriptions très détaillées de rues, de bars ou de quartiers. Loin de butter sur la difficulté des noms suédois, le lecteur s’imprègne d’un univers tangible et palpable, et la ville devient un véritable personnage du roman, tantôt rassurante et confortable, tantôt inquiétante et incontrôlable.
Attention, effectivement, aux âmes sensibles : Féminicide est un roman percutant, qui n’hésite pas à explorer la noirceur du monde qu’il dépeint. Certaines scènes sont très violentes et explicites. Engman commence ainsi chaque partie de son roman par une citation extraite d’un forum d’incels existant réellement sur Internet. Ces propos écrits à la première personne et véhiculant une haine de l’autre, et principalement des femmes, sont particulièrement dérangeants et brutaux. Cependant, cette âpreté est loin d’être gratuite et sert un propos très engagé dans la dénonciation de ces dérives et de la perversité humaine. Pour Engman, la notion d’alerte, d’avertissement est intrinsèque à l’acte d’écrire.
Corruption et violence
Pour l’auteur, le roman policier est un média formidable pour écrire sur la corruption du monde. Avec sa série Vanessa Frank, il cherche à dépeindre la société dans ce qu’elle a de plus divers. Il explore différents milieux et n’hésite pas à se frotter aux marginaux, aux nationalistes de droite, ou aux islamistes. Ancien journaliste, Pascal Engman dit s’inspirer principalement de la presse pour créer ses intrigues, et se donne comme mission d’instruire son lecteur tout en le divertissant. Pari réussi grâce à sa capacité formidable à mêler exigence et plaisir de lecture. Dans Féminicide, l’on en apprend plus sur les incels, abréviation de involuntary celibacy, ou célibat involontaire. Il s’agit d’un mouvement de dizaines de milliers d’hommes unis par leur haine des femmes, créé en 1994 sur Internet. Pour eux, la femme n’est qu’un objet, ou pire : une cible. Quelques tueries commises entre 2014 et 2020 (une douzaine de meurtres, dont au moins six meurtres de masse) ont attiré l’attention sur cette communauté, marquée par une idéologie d’extrême droite particulièrement radicale.
Bien que ce thème soit déjà très dense, l’auteur choisit de ne pas s’y cantonner et d’élargir ses recherches à d’autres types de violences envers les femmes. Écrit il y a cinq ans, le roman est malheureusement toujours d’actualité, confirmant que la misogynie demeure une réalité contemporaine malgré les conséquences positives du mouvement #MeToo. Discrimination, viol ou abus d’influence, l’auteur explore les vices d’une société où les inégalités persistent et nous propose des personnages féminins forts, charismatiques et inspirants, réagissant comme elles le peuvent à cette brutalité quotidienne.
Pour tous ces aspects, Féminicide est un roman passionnant, riche et dense, combinant habilement intelligence de l’intrigue, construction virtuose et plaisir de lecture. Brossant un portrait tout en nuances mais sans indulgence de la société suédoise, il alerte le lecteur sur les dérives et perversités du monde contemporain, tout en lui proposant une galerie de personnages attachants et inspirants. Un auteur à suivre, assurément !