[Critique Livre] Anatomie du cinéma – Frédéric Sojcher

Caractéristiques

  • Titre : Anatomie du cinéma
  • Auteur : Frédéric Sojcher
  • Editeur : Editions Nouveau Monde
  • Date de sortie en librairies : 2 avril 2025
  • Format numérique disponible : oui
  • Nombre de pages : 288
  • Prix : 24,90 euros
  • Acheter : Cliquez ici
  • Note : 8/10

Frédéric Sojcher ne se contente pas de faire du cinéma : il le pense, le décortique, le transmet. Cinéaste belge, professeur à l’université et écrivain, il publie en ce mois d’avril Anatomie du cinéma aux éditions Nouveau Monde. À mi-chemin entre autobiographie, manifeste et manuel de survie, cet essai dense et intelligent s’adresse à ceux qui rêvent de passer derrière la caméra et interroge les rouages d’un art aussi exaltant que cruel, qui ne cesse de se réinventer.

Entre expérience personnelle et conseils pratiques

Dès l’introduction, l’auteur annonce la couleur : il ne s’agit pas ici de vendre du rêve mais de raconter les coulisses du Septième Art, avec ses aspérités. Ce « traité de survie », comme il l’appelle, explique comment allier inspiration et faisabilité, et aborde le désir de raconter une histoire et les mille embûches qui freinent sa concrétisation. Comment rebondir après un échec commercial ? Comment faire vivre un projet dans un système qui broie autant qu’il encense ? Loin de livrer des recettes toutes faites, Frédéric Sojcher guide le lecteur dans les arcanes du métier, avec précision et lucidité. Penser au budget, anticiper les refus, comprendre les logiques économiques et politiques qui conditionnent la production d’un film : autant d’étapes cruciales que l’auteur décortique de manière exhaustive.

Mais l’essentiel, pour lui, reste artistique : qu’est-ce qui fait qu’un scénario fonctionne ? Comment la mise en scène prolonge ou trahit l’intention initiale ? Il évoque les renoncements nécessaires au montage, la fragilité du lien entre acteurs et réalisateurs, l’importance d’un regard, d’un geste, d’une complicité silencieuse. Chaque moment de tournage devient alors un jeu d’équilibre et de pouvoir. L’auteur parsème son essai d’anecdotes personnelles, parfois drôles, parfois douloureuses. Sa rencontre avec Vladimir Cosma, l’influence de sa mentor Jacqueline Aubenas, les douze refus consécutifs de la Commission du film en Belgique, l’histoire du tournage de son long-métrage Le Cours de la vie, avec Agnès Jaoui, sauvé in extremis… Tout concourt à dessiner le portrait d’un homme qui n’a jamais cessé de croire au cinéma, malgré les obstacles.

Décodage d’un art en constante mutation

À travers une fresque historique éclairante, Sojcher retrace les grandes étapes qui ont façonné le cinéma tel que nous le connaissons. Des frères Lumière à Charles Pathé, des accords Blum-Byrnes à la reconnaissance du droit d’auteur, il dresse une cartographie passionnante d’un art en perpétuelle mutation. Son regard reste toujours critique, questionnant les causes de l’hégémonie américaine, les contradictions internes du modèle européen, et s’inquiétant du vieillissement des œuvres et de la fragilité accrue du cinéma à l’ère des algorithmes.

De nouvelles questions se posent, en effet, aujourd’hui : la salle de cinéma survivra-t-elle aux plateformes ? Faut-il imposer des quotas pour les femmes dans le milieu ? Quelle éthique pour les cinéastes à l’ère post-#MeToo ? Sojcher ne prétend pas apporter des réponses définitives, mais ouvre des pistes essentielles. À travers quelques exemples emblématiques comme le parcours de Charlie Chaplin, il illustre les tensions, les compromis, mais aussi la magie qui naît de la collaboration entre des métiers aussi variés que régisseur, scripte, cascadeur ou ingénieur du son. Le film apparaît alors comme une œuvre collective, fruit d’une alchimie fragile orchestrée par le cinéaste, chef d’orchestre de talents souvent dissonants. Du premier clap à la post-production — musique, bruitages, étalonnage — Anatomie du cinéma retrace chaque étape de la création pour mieux en révéler la genèse, la richesse et les défis.

Une parole partagée, jamais surplombante

Ce qui frappe dans Anatomie du cinéma, c’est l’humilité du ton. Frédéric Sojcher ne cherche jamais à imposer son point de vue, mais plutôt à ouvrir un dialogue. L’essai se lit comme une conversation, nourrie de multiples voix et enrichie de nombreuses notes de bas de page. Il cite abondamment ses pairs, interroge l’éthique du métier, souligne le rôle essentiel – et parfois cruel – des critiques de cinéma, des festivals et des cérémonies.

À ceux qui débutent, il recommande de regarder les grands cinéastes pour apprendre – ou se construire en opposition – mais sans jamais les imiter, en utilisant toujours leur recul critique. Chaque film est en effet unique, né d’une équipe, d’un contexte et d’un budget singulier. Il revendique l’importance du tâtonnement et du doute. Et surtout, l’auteur refuse de se placer en « sachant » : son but est bien de transmettre, pas de dogmatiser. Certes, le tableau dressé peut parfois paraître décourageant, et le parcours du cinéaste est souvent dépeint comme une traversée du désert. Cependant, c’est dans cette honnêteté brute et cette lucidité que réside la force de l’ouvrage.

Anatomie du cinéma nous entraîne donc dans les coulisses du Septième Art, explorant à la fois les rouages techniques de la fabrication d’un film et les dynamiques humaines qui sous-tendent sa création. Bien plus qu’un simple manuel, cet essai met en lumière la complexité d’un écosystème où s’entrecroisent producteurs, cinéastes, scénaristes, techniciens, et où chacun joue un rôle déterminant dans la réussite d’un projet. S’il peut parfois paraître pessimiste face à l’immensité de la tâche qui incombe au cinéaste en herbe, Frédéric Sojcher n’en demeure pas moins porté par une exigence salutaire et une profonde tendresse pour celles et ceux qui, malgré les obstacles, choisissent de raconter le monde en images.

Article écrit par

Lorsqu’elle n’enseigne pas l’italien, Lucie Lesourd aime discuter de sa passion pour le cinéma, le théâtre et les comédies musicales. Spécialisée en littérature young adult et grande amatrice de polars et thrillers, elle rejoint Culturellement Vôtre en février 2020 pour y partager ses avis lecture et sorties culturelles.

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