Il existe encore aujourd’hui un bien trop grand nombre de pays où être une femme n’est pas source de joie, que ce soit pour les parents ou les jeunes filles. Parmi eux se trouve le Mexique. Pays dont l’on parle peu en France, mais qui pourtant est non seulement contrasté mais mouvementé. Les splendeurs des civilisations précolombiennes font face à la pauvreté la plus totale et lorsque l’on en vient à la sécurité, la population se divise en deux clans distincts : les (très) riches qui peuvent payer pour s’offrir garde du corps et équipements luxueux et les (très) pauvres qui ne peuvent qu’attendre dans la crainte d’être victimes des trafiquants en tous genres. C’est l’histoire d’une partie de cette deuxième catégorie que nous présente Jennifer Clement avec son roman Prières pour celles qui furent volées, paru récemment en poche aux Éditions J’ai Lu après une première publication en grand format en 2014.
Ladydi est une jeune fille qui vit dans un village dans l’état du Guerrero. Situé au sud du Mexique, on y trouve notamment Acapulco, célèbre pour ses plages et ses fêtes luxueuses. Pourtant à quelques heures de route, des femmes vivent sous la menace permanente : qu’on enlève les petites filles. Ici, il n’y a plus d’hommes, ils sont partis clandestinement aux Etats-Unis, et si certains continuent d’envoyer de l’argent à leur famille, la plupart disparaissent au bout de quelques mois, préférant refaire leur vie. A la naissance, les mères annoncent à tout le monde qu’elles ont eu un garçon, ce que chacun fait semblant de croire, mais personne n’est dupe : ce n’est qu’une feinte afin de laisser croire qu’il n’y a pas de filles à venir enlever. C’est pourquoi, depuis le début de leur puberté, Ladydi, Paula, Estefani et Maria ont appris à s’enlaidir, se noircir les dents, être sale afin de ne pas « tenter » les narcotrafiquants. Ils viennent régulièrement se servir dans les réserves des villageoises et les emmènent afin d’en faire des esclaves, domestiques, sexuelles ou travailleuses. Isolées de tous et sans protection, les mères se doivent d’inventer de nouveaux stratagèmes pour leurs enfants. Malheureusement cela ne suffit pas toujours…
Une écriture juste
Si le sujet aurait pu facilement tomber dans le larmoyant, voire le pathétique, Jennifer Clement choisit de garder un ton détaché, qui permet de faire passer les émotions brutes sans enrobage. Ladydi est la narratrice, néanmoins ses amies et sa mère sont très présentes dès le départ et correspondent chacune à un caractère, une réaction ou une adaptation à ce constat effroyable : il n’y a aucun avenir pour une femme dans le Guerrero. Alors, ces personnages préfèrent prendre les choses avec philosophie, une forme d’ironie se rapprochant souvent de l’absurde, apportant cette dose de légèreté qui évite de tomber dans le « trop » (l’explication du prénom Ladydi fait partie de ces moments surprenants…). La question de la condition masculine est elle aussi abordée par le biais du frère de Maria : on ne peut espérer rester en vie quelques années que si on rejoint les narco-trafiquants. Ces faits, froids et durs, sont évoqués avec justesse et laissent au lecteur la possibilité de se faire sa propre opinion, sans influence. En cela, ce roman diffère d’autres que l’on pourrait qualifier du même genre comme Jamais sans ma fille de Betty Mahmoody, dans laquelle le côté autobiographique donne tout de suite un sentiment non seulement grave, mais surtout plus pesant. Prières pour celles qui furent volées se lit d’une traite et amène à réfléchir à ces populations qui côtoient au quotidien la mort, la violence mais aussi le luxe et l’extravagance.
Prières pour celles qui furent volées de Jennifer Clement, Éditions J’ai Lu, sortie le 4 mai 2016, 320 pages. 6,70€