Un western littéraire fascinant
On a beau titiller en mode « gros troll » la culture américaine dans ce qu’elle a parfois de plus ringard (le rodéo, les fast food, Donald Trump), il est tout de même indéniable que ce grand pays est artistiquement d’une importance capitale. Pour bien des raisons que nous n’aborderons pas ici, mais aussi pour cette incroyable faculté à projeter leur imaginaire sur tous les médiums qui leur tombent sous la main. Avec Pendaison à Cinder Bottom, le western s’invite au sein de la littérature, et le moins que l’on puisse écrire est que cette union fait des étincelles sous la plume de Glenn Taylor.
Pendaison à Cinder Bottom prend place en Virginie-Occidentale, le 21 août 1910 pour être précis. La potence s’apprête à se régaler de deux nouveaux gibiers : Abe Baach et Goldie Toothman attendent fatalement leur exécution. Alors que tout semble joué, que la corde sied de mieux en mieux au cou de ces malheureux, un événement vient perturber la bien cruelle cérémonie. Un véritable miracle qui provoque un flashback sept ans en arrière, car au-delà de l’urgence de la situation, vous comprendrez qu’il est aussi nécessaire que l’on sache ce qui a bien pu la provoquer. Ainsi, Pendaison à Cinder Bottom revient sur les deux personnage : Abe, alias « Keystone Kid », une légende vivante du poker, ce qui lui a attiré autant de convoitises que de menaces. Goldie, elle, est la patronne du bordel le plus renommé de la région, ce qui ne lui assure pas non plus un quotidien de tout repos. Les deux âmes s’attirent, fricotent avant d’être séparées par des accusations de tricherie clairement abusives d’un mauvais perdant. Forcé à l’exil, Abe se doit cependant de revenir à Cinder Bottom quelques années après, alors qu’il reçoit des nouvelles peu rassurantes de son frère, mal en point après une fusillade. L’heure de la vengeance a sonnée.
Pendaison à Cinder Bottom a tout pour figurer parmi les meilleurs romans lus cet été. Si l’on pense qu’aimer les westerns italiens serait un plus pour mieux aborder son univers, la plume de Glenn Taylor a cela de magique qu’elle nous emporte sans mal, et avec fluidité, au cœur d’une intrigue naturellement palpitante. L’ambiance qui se dégage de cet ouvrage a de quoi fasciner de bout en bout, sans véritable temps mort, même si deux ou trois chapitres pourront paraître un peu en-dessous côté rythme (tous placés lors de la première moitié). On retrouve une très grande partie de ce qui fait le succès du western spaghetti : les personnages meurtris par un passé douloureux, les parties de pokers clairement grugées dans tous les sens, et cette impression que seule la vengeance froide pourra régler la problématique. Car même si l’univers décrit dans Pendaison à Cinder Bottom fait la part belle à la tension et non à l’action, on sent bien que seule la violence pourra départager les passions.
Un page turner aux rebondissements efficaces
Abe Baach, le personnage principal de Pendaison à Cinder Bottom, ne dépareillerait pas dans un film signé Sergio Corbucci. Encore un peu, et on s’attendait à le voir revenir en ville en traînant tant bien que mal un cercueil derrière lui. Cependant, là où le western italien n’hésite pas à verser dans la violence graphique à tout moment, le roman signé Glenn Taylor évite tout emportement. Pour lui, pas besoin de démonstration explosive, la fin se chargera bien de régler les comptes. Par contre, ce qu’il met en place est clairement une narration basée sur un ressenti très imagé, et l’on ne peut s’empêcher de visualiser ce que pourrait donner Pendaison à Cinder Bottom dans un bon vieux Cinémascope. L’équilibre des descriptions est exemplaire, de sorte que l’on a la vive impression d’être plongé en Virginie-Occidentale, et de voir se dresser devant nous ce bien étrange endroit qu’est Keystone. Les personnages secondaires y poussent comme de la mauvaise herbe, et alors qu’Abe est en quête de vengeance, poussé à bout par la violence de cet univers, on se dit que sa tâche sera ardue…
Pendaison à Cinder Bottom se lit quasiment d’une traite. Si nous devions le qualifier à l’aide d’une expression, celle-ci serait indéniablement page-turner. La science de Glenn Taylor pour la narration fluide et l’enchaînement des rebondissements imprévisibles donne à l’ensemble un caractère sauvage qui se rajoute à celui de l’environnement décrit. Et s’il ne faut pas s’attendre à des gun fights à foison, son ambiance parfois barrée, sa galerie de personnages hauts en couleurs, mais aussi sa tension qui explose lors d’un dernier quart délectable à souhait, font de ce Pendaison à Cinder Bottom un roman hautement recommandable.
Pendaison à Cinder Bottom, un roman écrit par Glenn Taylor, traduit de l’anglais par Brice Matthieussent. Aux éditions Grasset, 384 pages, 22 euros. Parution le 11 mai 2016.