Caractéristiques
- Auteur : Charlotte Farison
- Editeur : Super 8
- Date de sortie en librairies : 2 mars 2017
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 606
- Prix : 22€
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- Note : 7/10 par 1 critique
Une intrigue en forme de puzzle à reconstituer
Analyste pour un grand établissement financier, Charlotte Farison écrivait principalement de la fiction institutionnelle jusque-là. Parmi les vivants, publié ce mois-ci chez Super 8 Éditions, son premier roman, prouve qu’elle est aussi une auteure prometteuse, capable de s’inspirer (très librement) de son expérience dans le milieu corporate pour tisser un récit prenant et original, où le lecteur est amené à reconstituer pièce par pièce un étrange puzzle, celui de la jeunesse du héros, Arturo, jeune intellectuel sans le sou propulsé du jour au lendemain à la tête du mécénat d’Hermiona, une entreprise qui semble avoir des choses à cacher.
A mesure qu’Arturo se familiarise avec ce nouvel environnement et ses mystérieux responsables, des souvenirs lui reviennent par bribe, et il parle parfois de lui à la troisième personne du singulier, comme s’il n’était pas vraiment cet Arturo, qu’il occupait la vie d’un autre, ou souffrait d’un trouble dissociatif. Cependant, l’histoire nous amènera bien loin d’une intrigue à suspense autour d’un homme doté de personnalités multiples et, si traumatisme il y a, Parmi les vivants est aussi et surtout un roman intriguant, doté de nombreux rebondissements hauts en couleurs sans pour autant adopter un rythme trépident.
Un récit à deux voix riche en rebondissements
La couverture conçue par Jeanne Mutrel est pertinente car, outre le fait qu’elle évoque directement la jeunesse d’Arturo sur une île fictive des tropiques, elle traduit bien l’idée de « mise en boîte » et de nostalgie qui émane du récit : il s’agit de l’histoire d’un homme qui vit encore dans un passé qu’il regrette, même s’il a conscience que celui-ci n’avait en réalité rien d’idyllique et s’est achevé de manière brutale et tragique. Un passé qui va le rattraper, de même que l’énigmatique Shula, dont nous suivons les aventures parallèlement à celles du héros.
En effet, Parmi les vivants est axé autour de ces deux figures que tout oppose et qui, de prime abord, ne semblent pas être liées. On se doute bien que quelque chose les unit d’une manière ou d’une autre et que les deux récits finiront par se rejoindre, mais Charlotte Farison n’hésite pas à prendre son temps, ne glissant une référence commune qu’assez tard dans le livre, au bout de 200 pages. Si cela pourra éventuellement frustrer certains lecteurs, il est bon de préciser que cela vaut le coup de prendre son mal en patience, d’autant plus qu’il est fort appréciable de lire un roman où l’on ne voit pas venir ce qu’il va se produire une centaine de pages à l’avance. L’histoire d’Arturo et Shula a beau comporter, de manière pragmatique, des choses assez fantaisistes pour ne pas dire tout à fait irréalistes, l’auteure sait amener les différents éléments et rebondissements de manière prenante, et, en se concentrant sur la psychologie de ses personnages, assez difficiles à cerner de prime abord, elle rend ce qui aurait pu ressembler à de grosses ficelles crédible, pour un résultat singulier, qu’on aurait du mal à faire rentrer dans une case définie.
Une oeuvre hybride, entre thriller corporate et roman noir
Ainsi, si Parmi les vivants est présenté comme un « thriller corporate », le terme échoue à retranscrire parfaitement le ton et l’équilibre si particuliers sur lesquels repose ce premier roman. Charlotte Farison alterne, jusqu’au moment où les deux récits se rejoignent vers la fin, un chapitre du point de vue d’Arturo et un chapitre du point de vue de la danseuse-call girl-espionne Shula. Deux personnages baignant dans des univers complètement différents, à la personnalité opposée. L’histoire de Shula est sans doute la plus rythmée, la plus riche en action puisqu’elle plonge assez vite la jeune femme au milieu de dangereux mercenaires, tandis que celle d’Arturo tient davantage de l’enquête : enquête sur la mort mystérieuse de sa prédécessrice, Lise Marshall, dont on se demande si elle avait découvert quelque chose au sujet de la firme, mais aussi, en fin de compte, enquête sur lui-même et son identité morcelée par un passé avec lequel il aura peut-être l’occasion de se réconcilier. Cette seconde « enquête » se dégage du récit de manière implicite et emprunte à la dimension psychologique des romans noirs, plutôt qu’à celle d’un thriller tel que La mémoire dans la peau, dont il diffère radicalement, dans le ton comme l’intrigue.
Au final, Parmi les vivants est une oeuvre hybride empruntant autant au roman noir qu’au thriller corporate façon John Le Carré, mais aussi au thriller psychologique, avec de belles touches d’humour, utilisées avec à propos. Charlotte Farison invente une étrange histoire, rocambolesque par bien des aspects, mais véritablement prenante, dans laquelle il faut prendre le temps de rentrer, s’immerger. Par le biais d’une écriture aiguisée comme un scalpel, la romancière y autopsie la psychologie et les rêves de deux êtres opposés et un peu paumés, hantés par un passé qui ne cesse de ressurgir et qui maintient sur eux une irrésistible force d’attraction, comme tous les souvenirs obsédants, qui nous semblent parfois plus réels que la réalité brute et austère.
« J’aime garder mon propre souvenir des choses. Mon souvenir à moi n’est pas nécessairement ce qui est arrivé », déclarait face aux policiers le personnage incarné par Bill Pullman dans le film Lost Highway de David Lynch. De manière similaire — et même s’il n’est pas question, ici, de folie véritable — la réalité des événements vécus n’empêche pas Arturo de conserver un ressenti particulier, subjectif, de ce passé dont il veut à tout prix maintenir l’éclat dans son esprit. Parmi les vivants dépasse alors le simple récit noir à la sauce corporate, pour devenir une réflexion singulière autour de la mémoire et l’illusion. Brillant.
Parmi les vivants de Charlotte Farison, Super 8 Éditions, sortie le 2 mars 2017, 606 pages. 22€.