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[Critique] L’Empire du thé : Le guide des thés de Chine — Katrin Rougeventre

image couverture l'empire du thé le guide des thés de chine katrin rougeventre éditions michel de maule félix torres éditeurLe thé de Chine et son histoire

Remis à l’honneur ces dernières années, avec une offre de qualité qui ne cesse de se développer, le thé fait également régulièrement l’objet de plusieurs beaux livres chez des éditeurs importants, détaillant ses propriétés, ses déclinaisons ou encore l’art de le déguster. Mais rarement un ouvrage aura été aussi fourni, précis et exhaustif que L’Empire du Thé de Katrin Rougeventre, publié aux éditions Michel de Maule en collaboration avec Félix Torres éditeur le mois dernier.

Cet épais volume illustré de photos couleurs se concentre exclusivement sur les thés de Chine, là où ce breuvage, inséparable de la culture du Pays du Milieu, est apparu en 2737 avant J.C. Le livre se décompose en trois grandes parties (« La civilisation du thé », « Terroirs et grands crus de Chine » et « Thé pratique »), elles-mêmes divisées en de multiples chapitres bien remplis, alliant clarté et précision. En introduction, un tableau chronologique nous permet de situer la naissance, puis l’évolution du thé par rapport à l’histoire de la Chine. Ces marqueurs historiques sont mis en parallèle avec les grandes dates du thé, afin d’avoir en tête les grandes lignes avant de rentrer dans le vif du sujet. On apprendra ainsi que le thé n’est parvenu au Japon (et dans d’autres pays asiatiques, comme la Corée) que vers l’an 800, soit tout de même plusieurs millénaires après sa naissance en Chine, ou encore que le thé a connu une grave crise dans son berceau d’origine à partir des années 50 en raison de la concurrence de l’Angleterre et du Japon (aux méthodes industrielles), avant de redémarrer vers 1978-1980, avec une production multipliée par cinq.

Une présentation détaillée des différentes familles de thé et leur culture

Bien que l’on trouve également de très bons crus au Japon, en Inde et dans les autres pays où le camellia sinensis (le nom latin du thé) est cultivé, Katrin Rougeventre, interprète-traductrice de chinois spécialisée dans la théiculture depuis plus de 30 ans, rappelle que c’est en Chine que l’on trouve la plus grande variété de thés, mais aussi les plus raffinés. Avant de détailler les nombreux crus des différentes régions du Pays du Milieu, elle commence par revenir sur la classification des thés de Chine, qui a tendance à varier d’une source à l’autre et est souvent source de confusion. Ainsi, si l’on parle communément de « thés noirs » en Occident pour évoquer les crus à la liqueur cuivrée comme le lapsang souchong, il s’agit en réalité de thés rouges ! Le véritable thé noir, en Chine, est ce que nous appelons les « thés sombres » ou « thés fermentés ». De même, les enseignes parlent souvent de « thés rouges » pour parler des rooibos, un breuvage sans théine originaire d’Afrique du Sud, obtenu à partir d’une toute autre plante que le théier.

Une fois cette mise au point effectuée, l’auteure  présente les différentes « saisons » du thé, les formes données aux feuilles séchées, les grades (qui attestent de la finesse de la cueillette), les différents modes de production ou encore les dix grands crus considérés comme les meilleurs de Chine au sein d’un premier chapitre qui a valeur de synthèse. Elle détaille ensuite l’histoire du thé et la philosophie qui l’imprègne au fil des dynasties successives, jusqu’aux maisons de thés actuelles, partagées entre établissements touristiques, populaires ou plus haut de gamme. Car pour les Chinois, le thé n’est pas seulement une boisson, mais avant tout un art de vivre, donnant lieu à différents rituels en fonction des occasions. Il est lié de près à l’étiquette, et gare au visiteur, invité à le déguster, qui ne se plierait pas aux règles de la bienséance et engloutirait sa tasse sans ménagement ! Les affaires se concluent autour du thé, selon des étapes très codifiées, que les professionnels occidentaux ont tout intérêt à intégrer s’ils veulent conclure un marché.

Un guide exhaustif, aux explications poussées

On trouvera aussi dans L’Empire du Thé des informations généralement absentes ou tout du moins peu détaillées dans les ouvrages plus grand public, qu’il s’agisse d’un chapitre très fourni dédié exclusivement à la céramique chinoise dans l’art du thé, ou encore d’explications très poussées sur la culture et les différents types de cueillettes, avec des photos et dessins accompagnant le tout. Terroirs d’origine ou cultivars, conditions climatiques et géographiques, particularités des plants issus de variétés et sous-espèces différentes de théiers, vous saurez tout sur la culture du thé chinois ! On retrouve la même exhaustivité et la même précision lorsqu’il s’agit de détailler les modes de préparation des différents thés (vert, bleu, blanc, jaune, rouge ou noir), avec toutes les méthodes pratiquées, qu’elles soient artisanales ou industrielles.

La seconde partie sera sans doute la plus précieuse pour les amoureux de thé souhaitant acquérir les meilleurs crus de Chine puisque l’auteure y détaille les différents thés (avec leur nom chinois et leur nom « occidental » lorsqu’il y en a un), région par région. Inutile de préciser que les particularités géographiques, climatiques et culturelles de chacune est présentée par l’auteure, et même accompagnée d’une petite carte avec un court texte de synthèse pour les plus pressés. Chaque cru est présenté avec soin (origine, culture, récolte, préparation) et Katrin Rougeventre donne souvent des conseils pour le déguster dans les meilleures conditions : température de l’eau, temps d’infusion, matériel à utiliser, etc. Tous les thés dégustés en Chine n’étant pas exportés (ou alors de manière limitée), il vous faudra vous rendre sur place pour goûter aux plus rares, tandis qu’un certain nombre de grands crus sont disponibles de manière limitée (pour un tarif parfois assez élevé) auprès de certaines maisons en France.

Une Bible indispensable pour dénicher des crus authentiques

L’Empire du thé se révèle alors précieux pour faire la différence entre les thés et mélanges destinés quasi-exclusivement au marché occidental et les crus authentiques, bien plus intéressants. Les amateurs de thé fumé seront par exemple peut-être surpris de découvrir que le fameux lapsang souchong, qui fut l’un des premiers thés de Chine à être importé en Occident, et est également à l’origine des techniques d’oxydation actuelles, n’est absolument pas fumé dans son pays d’origine. C’est en réalité pour plaire au marché occidental que les Chinois eurent l’idée de le fumer ! Ce guide détaillé est complété, en annexe,  par un index des thés de Chine évoqués au sein du livre, soit plus de 200, permettant de retrouver rapidement un cru en fonction de sa couleur, la province dont il est issu ou son nom d’origine, voire grâce à son idéogramme pour les personnes maîtrisant la langue chinoise à l’écrit comme à l’oral. Les adresses du thé chinois en France et à travers le monde sont également proposées avec les coordonnées complètes et sites web correspondants, qu’il s’agisse de salons de thé ou enseignes et comptoirs proposant des crus à la vente.

Enfin, la troisième partie du livre, bien plus courte, reprend des informations plus largement évoquées dans d’autres ouvrages, telles que les règles pour bien infuser et déguster son thé, le rituel de la cérémonie du thé gongfucha, le vocabulaire de la dégustation pour décrire l’odeur, le goût ou la texture de la liqueur ou encore un point sur les vertus pour la santé attribuées au thé, qui donnent parfois lieu à des sons de cloche contradictoires. Bien que ces éléments soient moins « originaux » par rapport au reste de l’ouvrage, Katrin Rougeventre fait preuve de la même pertinence que dans les 400 pages qui précèdent, détaillant de manière synthétique, entre autres, les différents modes de dégustation du thé en fonction des régions. Le chapitre où l’auteure départage mythe et réalité scientifique en ce qui concerne les vertus, mais aussi les effets nocifs du thé intéressera tout particulièrement les personnes attachant beaucoup d’importance à cet aspect, mais ne sachant à quelle source se fier. Cette partie les aidera à bien choisir leur thé afin de bénéficier au mieux de ses vertus.

Vous l’aurez compris, L’Empire du Thé est un ouvrage impressionnant par l’étendue et la précision des informations qu’il délivre au sujet des thés de Chine. Katrin Rougeventre fait montre d’une connaissance et d’une compréhension très poussées de son sujet, qu’elle a appris à maîtriser au fil des décennies, non seulement à travers ses recherches, mais aussi ses nombreux voyages. Son livre, à la belle iconographie, est riche de détails que l’on ne trouve que très rarement dans les titres consacrés au sujet, en faisant une véritable Bible pour comprendre la culture du thé dans son berceau d’origine, mais aussi dénicher des crus authentiques, représentatifs de ce que les Chinois consomment, et pas uniquement de ce que le marché occidental affectionne. Cette exhaustivité assure à L’Empire du Thé de devenir une véritable référence en la matière, un livre à posséder dans sa bibliothèque pour tout amoureux du thé qui se respecte.

L’Empire du Thé : Le guide des thés de Chine de Katrin Rougeventre, Michel de Maule/Félix Torres éditeur, sortie le 29 mars 2017, 504 pages. 34€

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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