Caractéristiques
- Auteur : Michel Embareck
- Editeur : L'Archipel
- Date de sortie en librairies : 7 février 2018
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 252
- Prix : 18€
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 9/10 par 1 critique
L’amitié de deux géants
Entre Michel Embareck et le rock, c’est une longue histoire d’amour qui ne s’est jamais démentie. Journaliste pour Best, Rolling Stone et Libération dans les années 70-80, il connaît le rock et son histoire comme sa poche, autant que les ambiances survoltées des concerts des grands du genre. Cela n’est donc en rien une surprise qu’après Jim Morrison et le diable boiteux en 2016, on le retrouve avec Bob Dylan et le rôdeur de minuit, qui s’intéresse à l’amitié entre l’artiste folk et une autre icône de la musique américaine, Johnny Cash. Amitié réelle, mais assez peu documentée en dehors de quelques déclarations et images d’archives, ainsi qu’une session de titres enregistrée par les deux artistes. Raison pour laquelle l’auteur cite en préambule Victor Boudreaux : « Quand la véritable histoire tient en une poignée de lignes, ne reste qu’à en inventer le roman ».
Et quel roman ! Bob Dylan et le rôdeur de minuit débute en 1961 pour s’achever de nos jours et, en l’espace d’une cinquantaine d’années, il retrace les grandes révolutions, musicales et sociales, qui ont jalonné les décennies et le parcours de ces deux icônes indétrônables. Des révolutions qu’ils ont accompagnées chacun à leur manière, l’un en s’en faisant le poète, le second en chantant pour les prisonniers, en prenant partie (tardivement) contre la guerre du Vietnam ou encore en soutenant les amérindiens, massacrés par les colons puis reclus dans des réserves. Ultra-documentée, l’oeuvre de Michel Embareck alterne entre des moments de la vie de Dylan, Cash et d’un narrateur que l’on pourrait facilement assimiler à un alter-ego de l’écrivain — le fameux « rôdeur de minuit », qui n’est autre qu’un ancien DJ et animateur radio. Si la longue correspondance entre Bob Dylan et Johnny Cash est fictive, celle-ci semble tellement réelle que l’on y adhère sans peine. De manière générale, Embarek a étoffé des éléments réels, n’inventant pleinement qu’assez peu de choses au final. Si on se doute bien que les conseils en matière de bricolage que s’échangent l’un et l’autre font partie de ces ajouts romancés, tous ces petits détails participent à nous immerger pleinement dans l’histoire des deux artistes, et à saisir d’autant mieux ce qui a pu les réunir, eux les deux « marginaux » au caractère entier, que ce soit dans leur histoire personnelle ou leur oeuvre.
Un roman immersif sur la mémoire vivante du rock
La manière dont Michel Embareck établit des ponts entre eux est tout bonnement passionnante et donne une envie féroce de se replonger dans certains de leurs chefs d’oeuvre, qu’il s’agisse du sublime At Folsom Prison de Cash (ou le plus méconnu Bitter Tears) ou encore Blonde on Blonde de Dylan. Sans jamais donner l’impression de lâcher ces références pour la forme, l’écrivain les insère avec brio dans sa narration et évite de « statufier » ces personnalités bigger than life, qui apparaissent ici bel et bien vivantes, palpables. Idem pour Alice Cooper, qui apparaît pourtant dans la partie la plus romancée du livre, celle du rôdeur de minuit, qui incarne ici le lien du lecteur avec le présent. Ce témoin d’une ère désormais révolue, en voie de disparition avec la mort de Johnny Cash et June Carter en 2003, mais toujours présente par le biais de Bob Dylan, auréolé du Prix Nobel de Littérature en 2016, nous parle de sa passion pour le rock, mais aussi de vieillesse et d’un certain état d’esprit de ceux qui ont connu ces sommets d’intensité dans les années 60-70.
Ce thème de la vieillesse, de la mort qui rôde, nous ramène également aux American Recordings de Johnny Cash (qui sont bien entendu évoqués), cette anthologie de grands classiques américains — aussi bien anciens que récents — repris par le musicien en guise de testament musical. Sa voix y était fragile, rocailleuse, mais n’avait jamais été aussi émouvante qu’à ce moment-là, à l’image de sa reprise du « Hurt » de Nine Inch Nails, dont on se souvient plus particulièrement, même si elle est loin d’être la seule pépite de ces six albums qui l’ont remis en pleine lumière (les deux derniers ayant été publiés de manière posthume), lui que sa maison de disques avait lâché dans les années 80.
Bob Dylan et le rôdeur de minuit apparaît ainsi comme un roman essentiel, à la fois sur Bob Dylan et Johnny Cash, mais aussi sur l’esprit contestataire d’une époque qui s’est peu à peu perdu jusqu’à nos jours. Loin de se contenter d’une narration purement chronologique façon biographie Wikipedia, Michel Embareck alterne entre passé et présent, et nous plonge au coeur de la musique et de la personnalité de ces deux immenses artistes, nous donnant peu à peu l’impression de les connaître, au-delà des mélodies. Il parvient, grâce à une écriture immersive, parfois sèche, parfois plus poétique, à retranscrire l’effervescence des années 60-70, tout en soulignant l’immense richesse de ces deux oeuvres, leur importance, et ce, sans recourir à des ficelles de critique musical. Ce nouveau livre est un roman de plein droit, à la narration travaillée, qui nous invite à parcourir la mémoire vivante du rock et vous apprendra sans doute au passage un tas d’anecdotes. On y plonge la tête la première, avant de (re)découvrir les Dylan/Cash Sessions de 1969.