Caractéristiques
- Auteur : Nicoletta Ceccoli
- Editeur : Soleil Editions
- Collection : Venusdea
- Date de sortie en librairies : 21 mars 2018
- Format numérique disponible : Non
- Nombre de pages : 120
- Prix : 29,95€
- Note : 8/10 par 1 critique
Des images faussement innocentes
Illustratrice italienne née à Saint-Marin en 1973 et titulaire d’un diplôme en cinéma d’animation, Nicoletta Ceccoli possède un univers bien à elle teinté d’onirisme, à l’image d’un Benjamin Lacombe chez nous. Elle a illustré des dizaines d’ouvrages pour petits et grands pour les plus grandes maisons d’édition internationales, s’est chargée du character design du film d’animation La mécanique du coeur de Mathias Malzieu et réalise des tableaux pour ses expositions personnelles. C’est d’ailleurs dans ce cadre-là qu’est publié ce très bel artbook aux éditions Soleil (Les fées de Cottingley, Satanie…), dans leur collection Venusdea. Car Nicoletta Ceccoli explore des thématiques adultes bien précises, qui prennent tout leur sens une fois les oeuvres mises les unes à côté des autres au sein de séries faisant référence à l’univers des contes, entre autres.
Ainsi, dans Play with Me, l’on croisera de jeunes femmes fatales aux airs d’anges tristes, des Alice perdues dans un Wonderland trompeur, ou encore des loups déguisés en petites filles sages. En dépit des couleurs pastels et de l’apparente douceur du trait, une vraie gravité se cache dans ces quatre séries aux titres évocateurs, et le malaise n’est jamais loin. En cela, que l’on ne s’y trompe pas : ce superbe volume n’est pas destiné aux enfants. La sexualité et la cruauté en sont partie intégrante, même si la plupart des tableaux (à quelques exceptions près, donc) ne sont pas nécessairement « explicites ».
Une exploration symbolique de thèmes adultes
Ce qui impressionne en premier lieu, en dehors de la maestria de certaines illustrations, dont la finesse de la composition laisse pantois — c’est le cas, par exemple, de For Your Eyes Only — c’est la manière dont l’artiste explore des thèmes, émotions et situations très adultes à partir d’un univers en apparence enfantin. La peur de la stérilité, de la frigidité, de l’abandon, l’objectification de la femme ou encore les ficelles de la séduction sont explorées avec une belle inspiration à travers des images particulièrement incisives fourmillant de détails. Ainsi, dans The Land of Milk and Honey, si le titre et le jet de lait d’Alice que boit le lapin blanc suggèrent la fertilité, c’est plutôt l’idée de stérilité qui domine : le teint blafard de la « fillette » (qui n’en est pas une), son regard fixe dans notre direction nient l’idée même d’épanouissement au sein de ce décor semblant figé. De même, The Snow Bride apparaît tout aussi figée que son époux bonhomme de neige.
Quant à la thématique de l’objectification de la femme, elle transparaît dans un certain nombre de tableaux, certains en lien avec les contes, mais plus généralement avec l’univers des jouets. Ainsi, dans All Dressed Up and Nowhere to Go, le sujet féminin est un automate au même titre que ses joujous d’enfant. Quant à Soft Vinyl Skin, avec sa « poupée » posée sur une étagère et prisonnière de sa boîte, il rappellerait presque le poème « The Candidate » de Sylvia Plath dans son recueil Ariel, où une femme essaie de se « vendre » à un homme en se présentant comme un objet fonctionnel mais, en définitive, passif. Mais, évidemment, chez Nicoletta Ceccoli, les femmes ne sont pas que victimes (que ce soit des hommes ou de leurs propres illusions et projections) mais aussi, à l’occasion, bourreaux. Comme dans Il Teatro delle Bugie, où une belle indifférente fait marcher Pinocchio à la baguette au sein d’une composition là encore très onirique.
Entre malice et gravité
On pourrait encore passer du temps à commenter chaque tableau mais, vous l’avez compris : il se dégage une réelle profondeur de Play with Me. Fascinantes par leur beauté, les images de Nicoletta Ceccoli n’en possèdent pas moins un net tranchant. Il s’agit d’images doubles, abritant une certaine gravité, une mélancolie, et dont le sens se dégage pleinement dans l’interaction entre le visuel et le titre ironique de chacune des oeuvres. La malice est bien là, mais ce qui se cache en-dessous nous renvoie à nos peurs d’adultes et à notre sentiment de solitude dans notre rapport à l’Autre, nourri d’attentes disproportionnées.
On saluera enfin le magnifique travail éditorial effectué sur ce beau volume : du grand format à la couverture épaisse aux nombreux détails en passant par la qualité du papier et de l’impression, tout a été mis en oeuvre pour que l’on puisse apprécier au mieux le travail de l’artiste. Par ailleurs, tout au long du volume, les détails de certains tableaux en double-page sont mis en avant, et placés en parallèle avec d’autres illustrations d’une même série, enrichissant ainsi notre lecture. On prend alors du plaisir à revenir à Play with Me pour y admirer ses nombreuses pépites, au gré de nos envies. Un très bel artbook, mais aussi une très belle introduction (même s’il s’agit en réalité de sa 3e monographie) à l’oeuvre de Nicoletta Ceccoli pour ceux qui ne la connaîtraient pas encore.