Un grand acteur aux fourneaux
La Grande Bouffe de Ugo Tognazzi. Le titre de cet ouvrage a de quoi faire frissonner de plaisir n’importe quel cinéphile : un titre grandiose, et un acteur qui ne l’est pas moins. La Grande Bouffe, film parmi les plus scandaleux de l’histoire du cinéma, hué à Cannes par les bourgeois qui, par ailleurs, étaient la cible numéro un de l’œuvre de Marco Ferreri. Un quatuor de personnes aisées, fatiguées d’une vie monotone, qui se rassemblent dans une grande bâtisse pour un suicide collectif en mangeant jusqu’à la mort, ce n’est pas dans un film de Xavier Dolan, qui rêve de se faire aimer par ces bourgeois de Cannes, qu’on trouvera ça. De l’autre côté, Ugo Tognazzi, acteur dans le film bien évidemment mais surtout sacré personnage dans la vie, aussi passionnant que l’était son talent. Ce best-seller en Italie, ce qui n’étonne pas tant l’acteur était un monstre sacré du cinéma populaire des années 1970 et 1980, est à la fois un livre de cuisine, une autobiographie aussi farfelue que le personnage, et devient même une analyse du phénomène La Grande Bouffe.
« C’est devant une poêle que je me sens vivant. ». Ugo Tognazzi n’était pas qu’une trogne reconnaissable entre mille, qui a habité bien des films de grande qualité (Le Grand Embouteillage, Porcherie, Les Monstres et tellement d’autres), il se qualifiait avant tout comme un gourmet car, comme il l’écrit : « L’acteur ? J’ai parfois l’impression de le faire comme un hobby. Manger, non : je mange pour vivre. ». De ce fait, le comédien s’est pris de passion pour l’art de la table et, comme bien des italiens, son incapacité à faire les choses à moitié l’ont poussé à des aventures carrément amoureuses avec les plats, les aliments. Refusant catégoriquement les mots créés pour faire culpabiliser le passionné de la bouffe, Ugo Tognazzi a donc décidé qu’un ouvrage consacré à sa personne ne pouvait prendre qu’une forme entre le livre de cuisine et l’autobiographie. Et bon sang, comme c’est succulent !
Un livre formellement frais
Mort depuis voilà plus de 25 ans, en 1990, Ugo Tognazzi s’y découvre une plume plutôt habile, un style familier qui se fond très bien dans ce découpage haché. On découvre la jeunesse de l’acteur, son travail dans une usine de charcuterie, et surtout un caractère déjà bien trempé pour celui qui deviendra malheureusement beaucoup trop connu en france pour son rôle dans La Cage Aux Folles. Ugo Tognazzi, c’était avant tout un homme hors-norme, qui ne cherchait pas spécialement la consécration grâce à un film. Si La Grande Bouffe de Ugo Tognazzi n’a pas l’ambition de nous faire découvrir l’homme en profondeur, disons que ce qui est écrit entre les recettes donne tout de même un aperçu assez net. Et des anecdotes bien fendardes.
Les recettes de La Grande Bouffe de Ugo Tognazzi sont du genre simples à réaliser, et sont finalement plus des moyens de parler au lecteur que de véritables leçons de cuisine. Ainsi, l’acteur nous confie bien des choses à travers ses plats, et confirme sa vision des choses très « poil à gratter ». Par exemple, dans l’une des recettes tirées de La Grande Bouffe, « Jeune dinde rôtie » (avec farce à la bordelaise), le comédien écrit : « Comment fait-on pour distinguer une jeune dinde d’une dinde moins jeune grâce à son poids ? Si la dinde est italienne, elle est jeune à deux kilos et demi et vieille à trois. Mais si la dinde est américaine, elle peut atteindre dix-huit kilos en deux ans. ». A bon entendeur pour celles et ceux qui perdent la boule pour l’Amérique et Thanksgiving, tout en ne supportant pas le traitement infligé aux oies pour leur foie gras.
Des recettes simples et parfois typiques
La Grande Bouffe de Ugo Tognazzi regorge autant de recettes appétissantes en diable que d’écrits drôles à parfois en rire à gorge déployée. La dernière partie s’éloigne de ce concept, n’est d’ailleurs plus écrit par l’acteur mais par Florence Rigollet, traductrice du livre, qui signe donc le segment « Ugo Tognazzi et Marco Ferreri : la bourgeoisie dans le viseur ». Tout au long de ces 57 pages, l’auteure revient sur une collaboration pour le moins naturelle, d’ailleurs décrite comme telle par le comédien. Le réalisateur, pape du grotesque, a ainsi fait tourner Tognazzi dans d’autres œuvres que l’immense La Grande Bouffe, et toutes sont abordées ici pour mieux comprendre, en fin de compte, ce qui a pu pousser l’acteur à se donner à ce point à la cause défendue par le film de Ferreri. Une dernière partie d’une utilité incontestable.
Au final, La Grande Bouffe de Ugo Tognazzi est un indispensable pour plusieurs raisons. Toutes font qu’il est bien plaisant de parcourir ce livre aussi généreux que l’acteur, que cet ouvrage permet de mieux connaître. Bien évidemment, les cinéphiles qui connaissent par cœur La Grande Bouffe (des gens de bon goût, assurément), se jetteront encore plus vite sur cet achat et pourrons se régaler de l’intégralité des recettes utilisées dans leur film culte. Les autres auront tout de même de quoi faire, avec de nombreux plats, parfois typiquement italiens, à s’en lécher les babines. On a d’ailleurs testé les « spaghettis à la sgualdrina », et comment dire… Miam !
La Grande Bouffe de Ugo Tognazzi, écrit par Ugo Tognazzi, traduit et complété par Florence Rigollet. Aux éditions Séguier, 288 pages, 21.90 euros. Parution le 4 mai 2016.