Romancier, éditeur, historien, Joël Schmidt est un homme qui possède de multiples facettes. Récompensé aussi bien par des prix littéraires que par la prestigieuse Légion d’Honneur, ce talentueux écrivain nous propose son dernier roman Germania, paru aux éditions Albin Michel. Cette histoire d’amour franco-allemand sur fond de Seconde Guerre Mondiale pourrait sembler déjà vue si elle ne prenait le tournant inédit d’une saga familiale profondément hantée par le romantisme allemand…
Quand la culture fait l’union
L’histoire de Germania prend place au lendemain de la Première Guerre Mondiale. Karoline, jeune allemande passionnée de littérature, part faire ses études en France. Elle y rencontre Jean, aussi féru d’art littéraire qu’elle, et très vite ils s’aiment et décident de s’installer ensemble. Parti finir leurs études et enseigner en Allemagne, leur couple, symbole de la réconciliation des deux pays, va être rudement mis à l’épreuve : le parti nazi accède aux pouvoirs, suspectant tous ceux qui ne sont pas adhérents, et en particulier les Français, qu’ils considèrent responsables de l’état de l’Allemagne des années 30. Karoline et Jean n’ont pas d’autre choix que de partir en France pour trouver refuge dans un château en Corrèze dans lequel vivent déjà les parents de Karoline. Malgré les difficultés de la guerre qui s’installe, ils se marient et très vite un petit Gunther voit le jour. Ils tentent de lui offrir une vie normale mais dès l’enfance il est mis à l’écart par les enfants et les maîtres, qu’il provoque en mettant en avant son germanisme. Devenu adulte, il décide de transformer le château de ses grands-parents en utopie : Germania. Ce rêve fou de créer une enclave culturelle germanique au sein de la Corrèze va le guider dans toutes ses actions mais ne sera pas sans conséquences que ce soit pour lui ou pour sa famille.
Entre biographie et romantisme allemand
Joël Schmidt, l’auteur de ce Germania, a été profondément marqué par la Seconde Guerre Mondiale qu’il a vécu tout jeune enfant. On retrouve dans le personnage de Gunther une bonne part d’autobiographie : le château de Corrèze, l’appartement parisien en face du Sénat, les difficultés à l’école dues aux intransigeances des professeurs mais aussi la culture littéraire qui a toujours fait partie de la vie de l’écrivain. Ce qui change dans ce roman c’est la dimension germanophile des protagonistes. Gunther provoque son entourage (y compris la famille de son père, qu’il n’aime pas) en ne voulant parler qu’en allemand, en vantant la supériorité de la nation allemande, le tout sans jamais prendre parti pour le nazisme. Ce dont il rêve, c’est un retour à une Allemagne romantique, celle qui était très influente du point de vue culturel sur toute l’Europe. Peu connu en France, le romantisme allemand a marqué toute une génération d’étudiants au début du XXème siècle. Si les écrivains sont quelque peu tombés dans l’oubli (les plus notoires sont les frères Grimm et Novalis), les musiciens sont eux bien plus nombreux : Beethoven, Gustav Mahler, Richard Strauss, Mendelssohn, Brahms, Wagner… C’est de cela que traite Germania, le retour à ce glorieux passé afin de ne pas être catégorisé par les horreurs des deux Guerres Mondiales.
Des personnages manichéens
Si Karoline et Jean sont mesurés dans leurs propos et dans leurs rapports aux autres, il n’en est pas de même ni pour Gunther ni pour Paula, son épouse. Cette génération née entre deux-guerres ne perçoit pas les événements de la même façon que les parents : ils n’ont pas le même vécu ni la même compréhension des actes et enjeux. Ce qui fait que si Karoline et Jean, jeune couple fou d’amour confronté à une situation catastrophique, sont des personnages attachants (le dévouement de la mère pour son fils notamment), ce n’est pas le cas de Gunther qui considère les choses en noir et blanc. Son rêve paraît noble au premier abord, une volonté d’ouverture à la culture pour tout le monde ; mais plus le temps passe, plus les difficultés s’accumulent et plus il devient tellement tranché dans ses positions, au point d’en sembler presque caricatural. Si l’on ne peut nier les difficultés qu’ont pu avoir les réfugiés allemands en France après 1945, ce repli sur soi est l’inverse de ce que ses parents prônaient. La troisième génération représentée par son fils est assez représentative de ce qu’il se passe dans beaucoup de familles immigrées.
Une porte d’entrée vers le romantisme allemand
Pourtant malgré le manque d’empathie suscitée par certains personnages, Germania est un roman plaisant, bien écrit et accessible à tous. L’introduction au romantisme allemand donne envie de pousser plus loin les lectures sur ce sujet et de découvrir une époque méconnue de l’Allemagne. Étant donné l’attachement de Joël Schmidt à ce courant, on peut penser que c’était là l’une de ses volontés. Auquel cas il a parfaitement réussi.
Germania, un roman écrit par Joël Schmidt. Aux éditions Albin Michel, 208 pages, 15 euro. Paru le 1er juin 2016.